La dysplasie fibromusculaire (DFM) est une maladie vasculaire rare. L’aspect morphologique dans les formes typiques prend l’aspect d’un chapelet de perles ou d’une pile d’assiettes. Un autre aspect, moins connu, pourrait signer la présence d’une DFM sous-jacente. Jeffrey Olin, coordonnateur du registre Nord-Américain de DFM, et son équipe ont signé un article décrivant la courbe en « S » de l’artère carotide interne. Pour ces auteurs, il s’agit d’un stigmate vasculaire de la maladie artérielle. Dans cette étude cas-témoins, ils en précisent la prévalence, la pathogénie et les conséquences cliniques.
METHODES
Il s’agissait d’une étude rétrospective, monocentrique, de type cas-témoin. Les échographies-Doppler carotidiennes de 116 patients porteurs d’une DFM ont été relues. Ces 116 patients faisaient partie du registre nord-américain de DFM coordonné par Jeffrey Olin. Dans 24% des cas, la DFM touchait les artères carotidiennes et dans 34% des cas les artères rénales. Dans 42% des cas, les deux territoires étaient touchés.
La « S-curve » était définie échographiquement par la visualisation dans la partie post-bulbaire de l’artère carotide interne d’une double courbure dessinant un S.
Ce travail comparait la prévalence de la S-curve dans le groupe des patients DFM à deux groupes contrôles tous deux appariés par le sexe. Le premier groupe était apparié par l’âge. S’agissant du second groupe contrôle, les auteurs ont intégré la plus grande fréquence de tortuosité artérielle avec l’âge et ont inclus des patients âgés de plus de 70 ans.
C’est à partir d’un collectif de 5676 patients que ces contrôles ont été choisis et appariés aux patients DFM dans un rapport de 2 DFM/1contrôle.
Dans cette étude, les critères d’exclusion comprenaient les porteurs d’une maladie de la paroi artérielle connue : Takayasu, Marfan, Moyamoya, syndrome de Loeys-Deitz, antécédent de dissection carotidienne, anévrysme carotidien.
Cette étude avait pour objectif secondaire d’étudier la prévalence de la S-curve chez les patients porteurs d’une DFM selon la localisation de l’atteinte : rénale ou carotidienne.
RESULTATS
Un collectif de 116 patients porteur d’une DFM a été inclus. L’essentiel de cette cohorte était représenté par des femmes (n = 108, 93%) et l’âge moyen des patients DFM était de 51 ans.
La S-curve était plus fréquente chez les patients DFM (n = 37, 31,8%) que dans le groupe contrôle apparié à l’âge et au sexe (2,7%), OR = 16,86 [3,92 - 72,48], p<0,0001.
La S-curve était plus fréquente chez les patients DFM (31,8%) que chez les contrôles de plus de 70 ans (n = 12, 16,2%), OR = 2,42 [1,16 - 5,03], p = 0,016.
Dans le groupe des 116 patients porteurs de DFM, la prévalence de la S-curve n’était pas modifiée par la localisation rénale ou carotidienne de la DFM.
DISCUSSION
Cette étude démontre une forte association entre la présence du « S » de l’artère carotide interne et la DFM. Cette association persiste, cependant qu’à un degré moindre, chez les patients de plus de 70 ans. Les auteurs font ainsi du « S » un aspect morphologique de l’artère carotide qui permettrait de poser le diagnostic de DFM notamment dans les cas où une incertitude existe.
Sinuosité, tortuosité, coiling, kinking, les variantes morphologiques sont nombreuses. Sethi et al. rappellent la classification proposée par Weibel et Fields à partir d’angiographies carotidiennes : un travail publié en 1965 ! Selon nos auteurs, la S-curve est définie échographiquement par l’existence d’une double courbure dessinant un « S » sans sténose ou athérome. Le choix d’un deuxième groupe contrôle de patients âgés de plus de 70 ans était justifié par la plus grande fréquence des tortuosités artérielles avec l’âge où se cumulent les comorbidités dont l’HTA qui peuvent modifier morphologiquement le vaisseau. Cependant dans l’étude de Sethi, le signe du « S » reste plus fréquent chez les patients porteurs de DFM que chez les contrôles âgés.
Bien que de mécanisme pas complètement élucidé, la DFM est une maladie de la paroi artérielle. L’aspect en collier de perle si spécifique de la DFM est bien connu des cliniciens. Dans ce travail, il était logique que les auteurs écartent d’autres maladies de la paroi artérielle tels les syndromes de Marfan, d’Ehlers-Danlos de type IV, de Loeys-Deitz*, ou le Moyamoya, susceptibles de comporter eux-aussi un signe du « S ».
La preuve histologique de DFM, dorénavant exceptionnelle, peut être apportée par une intervention chirurgicale réalisée chez des patients symptomatiques d’accidents vasculaires cérébraux. Chez 139 patients porteurs « d’élongations » carotidiennes, sous-entendu de modifications morphologiques proches du « S », opérés, l’examen anatomo-pathologique a révélé des anomalies à type de dégénérescence de la média, d’hyperplasie de la média d’origine cellulaire (cellules musculaires lisses) et extra-cellulaire, ou d’aspects typiques de DFM.
Le signe du « S » est-il associé à une fréquence plus importante d’évènements cérébro-vasculaires et particulièrement de dissections carotidiennes ?
Des réponses divergentes sont apportées par des séries parfois courtes. Dans une étude comprenant 13 dissections carotidiennes, une tortuosité de l’artère carotide interna été retrouvée chez 62% des patients. Le registre nord-américain pour la DFM fait mention d’une prévalence de la dissection dans 20% des cas. Cependant, l’étude plus récente de Dittrich et al**. ne confirme pas ces résultats. Signe du S, sténoses, anévrysmes ou dissections artérielles pourraient ainsi représenter une expression phénotypique différente de la DFM.
Dans le travail de Sethi et al., la présence du S n’est pas associée à une localisation carotidienne ou rénale particulière de la DFM. Ainsi la présence d’un S carotidien pourrait engager à rechercher une localisation rénale de la DFM.
LIMITES
S’agissant d’une banque de données personnelle au centre, les investigateurs de l’étude qui relisaient les échographies carotidiennes étaient informés du diagnostic de DFM. Cela peut induire un biais au niveau de l’interprétation échographique en dépit de critères du S prédéfinis.
Si les malades porteurs de maladie de la paroi artérielle étaient exclus de l’étude, tous les patients porteurs d’un signe du S n’avaient pas été testés génétiquement pour les syndromes d’Ehlers-Danlos, Marfan ou Loeys-Deitz. Quelques patients atteints de ces affections ont pu indument être inclus dans les groupes étudiés.
Les contrôles correspondaient à des examens motivés pour un motif clinique : souffle carotidien ou une affection concomitante : AIT, syncope, etc., ce qui a pu augmenter artificiellement la fréquence du S.
La fréquence de cet aspect morphologique dans une population normale n’est pas connue précisément.
Enfin, le signe du S expose-t-il à une plus grande fréquence de complications cérébro-vasculaires (dissections, AVC), ce qui en motiverait un peu plus la recherche ? Une étude prospective de cette cohorte pourra peut-être apporter une réponse à cette question importante.