L’article d’Andreas Greinacher, publié dans le New England Journal of Medicine est très synthétique et clinique, et rappelle les points clés relatifs aux TIH que le praticien doit maîtriser pour une prise en charge optimale. Ces points sont résumés dans le tableau ci-après.
Tableau 1 : La TIH : Points-clés en 2015
1- La TIH est caractérisée par une diminution du nombre des plaquettes de plus de 50 % par rapport à une valeur initiale obtenue avant le début de l’héparinothérapie. Cette diminution survient 5 à 10 jours après le début de l’héparinothérapie et est associée à une hypercoagulabilité et à la présence d’anticorps IgG activant les plaquettes en présence d’héparine.
2- L’utilisation d’un score qui prend en compte le délai d’apparition et l’importance de la diminution du nombre des plaquettes, ainsi que la survenue de thrombose et la présence d’autres causes potentielles de thrombopénie, est utile pour évaluer la probabilité pré-test de diagnostic de TIH.
3- Une TIH retardée peut survenir rarement après arrêt de l’héparine ; exceptionnellement, une TIH spontanée ou auto-immune peut aussi être observée en l’absence de traitement par l’héparine.
4- Des tests biologiques permettant la mise en évidence d’anticorps anti-Facteur Plaquettaire 4/héparine doivent être prescrits si les arguments cliniques sont suffisants pour évoquer une TIH. Ces tests ont une très haute valeur prédictive négative, mais une faible valeur prédictive positive.
5- Le traitement d’une TIH nécessite l’arrêt de l’héparine et la prescription d’un anticoagulant alternatif (argatroban, danaparoïde sodique, fondaparinux ou bivalirudine).
Les antagonistes de la vitamine K, comme la warfarine, doivent être évités avant la correction de la thrombopénie à la phase aiguë d’une TIH.
D’autres notions doivent aussi être connues par le clinicien. Ainsi chez les patients qui ont subi une chirurgie majeure, une TIH peut survenir 5 à 10 jours après la chirurgie, même s’ils ont été exposés préalablement à une héparinothérapie pendant longtemps (par exemple pour une hémodialyse). De plus, chez certains malades préalablement traités par héparine durant les semaines qui précèdent, des anticorps anti-PF4/héparine et une TIH peuvent survenir de façon très précoce, en quelques heures, après réexposition. Une réaction anaphylactoïde peut aussi être observée, notamment après injection intraveineuse d’héparine.
Rarement, une TIH peut être diagnostiquée après arrêt de l’héparinothérapie et les malades présenter des thromboses jusqu’à 3 semaines après le traitement anticoagulant. Dans certains cas, une simple injection d’héparine peut alors suffire pour induire une TIH. Enfin, des publications récentes soutiennent que certains malades peuvent développer une TIH spontanée ou auto-immune, en l’absence d’exposition à l’héparine, le plus souvent après chirurgie majeure ou dans un contexte infectieux. Dans ce cas, la thrombopénie peut persister pendant des semaines.
Après un paragraphe synthétique illustré d’une belle figure sur la physiopathologie montrant combien les anticorps anti-FP4 d’héparine peuvent activer les plaquettes mais aussi d’autres cellules, Andreas Greinacher rappelle que le risque de TIH est 10 fois plus élevé sous héparine non fractionnée que sous héparine de bas poids moléculaire, particulièrement chez les malades chirurgicaux.
L’auteur précise ensuite les conditions permettant le diagnostic d’une thrombopénie induite par l’héparine, en insistant sur la nécessité d’une surveillance régulière du nombre des plaquettes chez les malades à risque, notamment 5 à 10 jours après une chirurgie, permettant seule une analyse soigneuse de son évolution. Il illustre aussi à l’aide d’une figure le concept selon lequel une diminution relative de 50 % du nombre des plaquettes ne peut être objectivée dans certains cas qu’en comparant la numération avec celle obtenue après la chirurgie et non pas au début de l’héparinothérapie.
Un score de probabilité pré-test, comme le 4T**, est utile, mais nécessite une certaine expérience et il a néanmoins une bonne valeur prédictive négative.
L’intérêt des tests biologiques pour le diagnostic d’une TIH est essentiel. Les tests immunologiques détectant les anticorps anti-PF4/héparine ont une bonne sensibilité et valeur prédictive négative, mais sont peu spécifiques. Par contre, les tests fonctionnels réalisés avec des plaquettes lavées, comme le SRA (mesurant la libération de sérotonine radiomarquée), sont très sensibles et beaucoup plus spécifiques, mais difficiles à mettre en œuvre et réalisés uniquement dans des laboratoires spécialisés. Chez certains patients, Andreas Greinacher souligne que certains anticorps avec un très haut titre peuvent être détectés et activer les plaquettes sans héparine. Initialement reconnus chez des malades ayant une TIH retardée, de tels anticorps peuvent aussi entraîner, rarement, une TIH spontanée.
Le traitement d’une TIH impose l’arrêt de l’héparine incriminée et la prescription d’un anticoagulant alternatif à dose thérapeutique. Les AVK ne doivent pas être prescrits avant que les plaquettes ne soient > 150 G/L en raison d’un risque thrombotique élevé, avec la possibilité d’une gangrène veineuse.
Les deux médicaments anticoagulants spécifiquement approuvés pour le traitement d’une TIH sont l’argatroban, inhibant la thrombine, et le danaparoïde sodique ayant essentiellement une activité anti-Xa (Tableau 2).
L’argatroban a une demi-vie d’élimination courte, n’est pas éliminé par le rein, et il est donc fréquemment utilisé chez les malades dont l’état est critique. Le TCA, spontanément allongé chez certains malades peut donc s’avérer inefficace pour estimer la dose d’argatroban efficace, et il en résulte un risque de thrombose majoré. Il est donc important d’utiliser un test spécifique, comme le temps d’écarine ou le temps de thrombine dilué pour surveiller les malades traités par l’argatroban.
Le danaparoïde sodique est une alternative possible, notamment en l’absence d’insuffisance rénale, quoique la disponibilité de ce médicament en France soit parfois limitée, et que dans certains cas la thrombopénie puisse persister avec un risque de thrombose expliqué par une réactivité croisée des anticorps.
Andreas Greinacher souligne aussi l’importance de ne pas transfuser des plaquettes aux malades avec une TIH, le risque de saignement étant négligeable, et cette procédure pouvant majorer le risque de thrombose.
Les nouveaux anticoagulants oraux directs, comme le dabigatran, le rivaroxaban, et l’apixaban ne doivent pas être prescrits dans les TIH car ils n’ont pas été évalués dans cette indication, et les posologies efficaces ne sont donc pas définies.
La bivalirudine peut, en accord avec les recommandations émises par l’ACCP (1) ou des sociétés européennes (2), être utilisée lors d’une chirurgie cardiaque dans le contexte d’une TIH récente ou semi-récente avec persistance d’un taux significatif d’anticorps anti-FP4/héparine.
|
Danaparoide sodique |
Argatroban |
Bivalirudine |
Fondaparinux |
Cible |
Xa +++ |
IIa |
IIa |
Xa |
½ vie |
24 h |
40-50 min |
25 min |
17-20 h |
Elimination |
Rénale |
Hépato-biliaire |
Enzymatique 80% Rénale 20% |
Rénale |
Injections |
SC, IV |
IV
|
IV
|
SC
|
Surveillance |
Anti-Xa |
TCA, ACT |
TCA, ACT, ECT |
Anti-Xa |
Effet sur INR |
0 |
+++ |
++ |
0 |
Données immunologiques |
Réactivité croisée avec Ac TIH: 5% |
0 |
Réactivité avec Ac anti-lepirudine possible |
Ac anti-FP4 TIH rare ++ |
Traverse le placenta |
Non |
? |
? |
Oui |
Antidote |
Non |
Non |
Non |
Non |
Dialysable |
Oui |
20%
|
25%
|
20% |
Tableau 2 : anticoagulants potentiellement utilisables dans la TIH
(1) Linkins LA, Dans AL, Moores LK, Bona R, Davidson BL, Schulman S, Crowther M. Treatment and prevention of heparin-induced thrombocytopenia: Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest. 2012;141(2 Suppl):e495S-530S.
(2) Watson H, Davidson S, Keeling D. Guidelines on the diagnosis and management of heparin-induced thrombocytopenia: second edition. Br J Haematol. 2012;159(5):528-40.