L’article de Kang et al (2) relance le débat relatif à l’utilisation du fondaparinux dans le traitement des thrombopénies induites par l’héparine.
En effet, à ce jour ce médicament n’a pas l’AMM dans cette indication. D’un point de vue physiopathologique, le fondaparinux n’a aucune affinité pour le facteur plaquettaire 4 et les anticorps de TIH n’ont pas de réactivité croisée avec ce médicament, contrairement à ce qui est connu pour le danaparoïde sodique.
Son utilisation a été soutenue aussi par le fait qu’il n’induisait pas la synthèse d’anticorps anti-héparine/FP4, et donc la survenue d’une TIH. La surveillance de la numération plaquettaire sous fondaparinux n’est donc pas recommandée.
Ces éléments expliquent que la fondaparinux soit un médicament potentiel pour le traitement des thrombopénies induites par l’héparine, et plusieurs cas traités ont été décrits dans la littérature. Cependant depuis sa commercialisation, des observations de TIH sous fondaparinux ont aussi été décrites, ainsi que la synthèse de titres significatifs d’anticorps anti-FP4 chez certains patients traités par cet antithrombotique. La place de ce médicament dans la prise en charge de la TIH reste donc discutée comme en témoignent les recommandations de l’ACCP (American College of Chest Physicians) qui ont évoluées entre 2008 et 2012. En 2008, le fondaparinux était ainsi proposé chez les patients ayant une forte suspicion de TIH (grade 2C), mais cette recommandation a disparu ensuite en 2012.
Dans ce contexte, l’étude rétrospective canadienne de Kang et al publiée en février 2015 dans Blood apporte un éclairage nouveau sur l’utilisation du fondaparinux dans cette indication. Cette étude monocentrique a analysé une population de patients ayant une suspicion de thrombopénie induite par l’héparine. Parmi 239 patients, l’héparine a été remplacée par du fondaparinux (n=133), du danaparoïde sodium (n=59), ou de l’argatroban (n=47). Dans tous les cas, une recherche d’anticorps anti-FP4 a été réalisée en ELISA. Le diagnostic de TIH a été confirmé sur les résultats d’un test de libération de sérotonine radiomarquée ou selon l’analyse du dossier bio-clinique par un hématologiste.
Le temps moyen d’hospitalisation était de 40 jours et les patients ont été suivis en moyenne 28 jours après l’arrêt de l’héparinothérapie. L’analyse des données a été réalisée en regroupant les patients traités par argatroban ou danaparoïde sodium (n = 106) comparés aux 133 patients traités exclusivement par du fondaparinux. Un score de propension étant défini sur l’âge, le sexe, la créatinine, et un index de comorbidité a aussi été utilisé afin de comparer les 133 TIH traitées par le fondaparinux à des contrôles appariés. Quel que soit le groupe de patients, le diagnostic de TIH a été confirmé chez un tiers d’entre eux seulement. Même si le groupe argatroban/danaparoïde sodium présentait un index de comorbidité plus élevé et un plus grand nombre de patients ayant une forte probabilité clinique de TIH, l’analyse globale ne rapporte pas de différence significative en termes d’évènements thrombotiques (présents chez 18 % des patients quel que soit le traitement reçu après l’arrêt de l’héparinothérapie) ou de saignements (survenus chez 20 % des patients, sans différence significative selon les groupes). Cependant, des saignements ont plus fréquemment été rapportés chez les patients traités par argatroban mais cette différence n’est pas significative. Les auteurs expliquent ce résultat par une proportion plus importante de patients ayant une insuffisance rénale dans le groupe de sujets traités par argatroban.
Les auteurs ont également réalisé une analyse en stratifiant les patients selon que le diagnostic de TIH était confirmé ou non. Il apparaît que chez les patients dont le diagnostic de TIH a été écarté, les saignements sont plus fréquents chez ceux traités par argatroban ou danaparoïde comparé au groupe recevant du fondaparinux. A l’inverse, chez les patients dont le diagnostic de TIH a été confirmé, les saignements sont plus fréquents chez ceux qui ont reçu du fondaparinux. De fait, les auteurs de ce travail considèrent qu’une dose prophylactique de fondaparinux est suffisante si aucune raison (essentiellement une thrombose) n’impose une dose thérapeutique. L’on doit souligner aussi que cette étude est rétrospective et ne fait mention d’aucune posologie quelles que soient les drogues administrées. De plus le diagnostic de TIH n’a pas reposé systématiquement sur un test fonctionnel positif (notamment le SRA considéré comme le test de référence). En effet, un ELISA positif (sans mention de la valeur des absorbances mesurées) avec un score des 4T élevé ou intermédiaire suffisait le plus souvent pour confirmer ce diagnostic.
En conclusion, les résultats de ce travail sont en faveur d’une utilisation du fondaparinux dans la prise en charge des thrombopénies induites par l’héparine à la phase aiguë. De plus, à la non infériorité du fondaparinux retrouvée dans cette étude s’ajoute son moindre coût et sa facilité d’administration et de surveillance.
Afin de déposer une demande d’AMM pour l’utilisation du fondaparinux dans cette indication, une étude prospective devrait être idéalement initiée. Toutefois, un nombre important de patients devrait être inclus puisque le diagnostic n’est en pratique confirmé que pour 10% des cas avec une suspicion de TIH. Une telle étude semble donc difficilement réalisable en France ou en Europe.