ANGIOPLASTIE + ENTRAINEMENT A LA MARCHE SUPERVISE VERSUS ENTRAINEMENT A LA MARCHE SUPERVISE SEUL POUR LE PATIENT AVEC CLAUDICATION ARTERIELLE. ESSAI RANDOMISE.

Titre original : 
Endovascular Revascularization and Supervised Exercise for Peripheral Artery Disease and Intermittent Claudication. A Randomized Clinical Trial.
Titre en français : 
ANGIOPLASTIE + ENTRAINEMENT A LA MARCHE SUPERVISE VERSUS ENTRAINEMENT A LA MARCHE SUPERVISE SEUL POUR LE PATIENT AVEC CLAUDICATION ARTERIELLE. ESSAI RANDOMISE.
Auteurs : 
Fakhry F., Spronk S., van der Laan L. et al
Revue : 
Journal of american medical association. 2015;314(18):1936-44.

Traductions & commentaires : 
François BECKER



L'entrainement à la marche supervisé est prôné comme traitement de 1ère intention de la claudication intermittente d'origine artérielle dans les recommandations internationales (TASC 2007, ACC.AHA 2005-2011, ESC 2011). Toutefois, en pratique clinique, sa valeur reste incertaine car il est sous-utilisé du fait d'un accès limité, de la faible adhésion des patients et de l'attractivité de l'angioplastie percutanée qui a le potentiel d'un bénéfice immédiat sur la claudication. Deux revues systématiques ont montré que l'entrainement à la marche supervisé et l'angioplastie ont des résultats similaires sur l'amélioration de la marche et de la qualité de vie et que le couplage des deux traitements pourrait offrir un bénéfice supérieur à celui de chacun d'eux isolément (Ahimastos et al J Vasc Surg 2011, Frans et al Br J Surg 2012). C'est dans cette hypothèse que l'étude ERASE (Endovascular Revascularization And Supervised Exercise) a été conçue et réalisée dans 10 centres aux Pays-Bas de 05/2010 à 02/2013. Cette étude portant sur 212 patients (106 dans chaque bras) a comparé entrainement à la marche supervisé seul (groupe "exercice seul") et angioplastie suivie d'un entrainement à la marche supervisé (groupe "avec angioplastie").

 

METHODES

 

1-Participants.

Tous les patients adressés en consultation externe avec une AOMI et une claudication intermittente stable évoluant depuis 3 mois ou plus étaient incluables. Ils étaient inclus si l'IPS de repos était ≤ 0.90 et si cet IPS chutait d'au moins 0.15 après test de marche sur tapis roulant. Tous les patients avaient au moins 1 sténose significative à l'étage aorto-iliaque et/ou à l'étage fémoro-poplité. Leur distance de marche maximale mesurée sur tapis roulant [protocole Gardner : vitesse 3.2 km/h, pente croissante (+2% toutes les 2 min)] devait être comprise entre 100 et 500 mètres.

Les patients étaient exclus 1-si leurs lésions artérielles avaient déjà été traitées ou si elles étaient jugées comme ne relevant pas d'une angioplastie, 2- si leur déambulation était réduite pour des raisons autres que l'AOMI ou si leur espérance de vie était trop limitée.

Les patients éligibles ont été randomisés sur le mode 1:1.

 

2-Entrainement à la marche supervisé.

Les exercices de marches ont été réalisés en cabinet de ville ou en centre hospitalier de kinésithérapie sous la direction de physiothérapeutes spécialisés appliquant les guidelines de la société hollandaise de traitement physique.

Le programme comprenait essentiellement des séances de marche sur tapis roulant jusqu'au seuil de douleur sous-maximale de claudication. Durant les 3 premiers mois, le patient effectuait 2 à 3 séances de 30 à 45 min par semaine, puis au moins 1 séance par semaine les 3 mois suivants (M3-M6) et enfin 1 séance toutes les 4 semaines jusqu'à 12 mois (soit 46 à 59 séances dans l'année). Le programme était modulable en fonction des progrès et des préférences du patient.

 

3-Angioplastie.

Les angioplasties ont été réalisées par des radiologues ou des chirurgiens vasculaires en application des derniers standards de qualité, avec un stenting sélectif.

L'entrainement supervisé à la marche était débuté 2 à 4 semaines après l'angioplastie.

 

4-Evaluation, Critères de jugement.

L'évaluation a été optimale comprenant notamment un recueil de l'activité physique hebdomadaire toute forme, hors protocole d'entrainement à la marche.

Le critère de jugement principal était la distance de marche maximale à 12 mois évaluée sur tapis roulant selon le protocole Gardner (durée maximale : 30 min). Pour assurer l'aveugle, le superviseur n'était pas au courant du type de traitement entrepris et le patient ne devait pas en discuter avec lui.

Les critères secondaires étaient : la distance de marche sans douleur, l'IPS au repos et l'IPS post-effort, les éventuelles interventions vasculaires réalisées durant le suivi, le taux de re-sténoses détectées lors de l'examen écho-Doppler à 12 mois, et la qualité de vie (Rating score, SF36, VascuQol).

 

5-Statistiques.

Une différence moyenne de 30 à 35% sur la distance de marche maximale à 1 an (soit ≈ 150 m) entre les deux groupes a été considérée comme relevante. Sur cette base, il a été calculé que 210 patients étaient nécessaires pour réaliser cette étude.

L'analyse principale a été effectuée en intention de traiter.

 

RESULTATS

 

1-Les patients.

Sur 666 patients incluables, 212 ont été inclus et randomisés. L'âge moyen était de 65 ans (± 10), 62% étaient des hommes, 57% étaient des fumeurs actifs, 35% étaient d'anciens fumeurs, 21% étaient diabétiques, 36% avaient une cardiopathie ischémique et 12% des antécédents cérébro-vasculaires. La durée d'activité physique médiane était de 4h par semaine (1 à 8.5). La claudication intermittente évoluait en moyenne depuis 1 an (5 à 24 mois). La distance de marche maximum à l'inclusion était de 275 m (± 155), la distance de marche sans douleur était en moyenne de 126 m (± 85). L'IPS de repos moyen était à 0.70 (± 0.17), l'IPS post-effort moyen était à 0.41 (± 0.22). Les lésions prédominaient à l'étage aorto-iliaque dans 53% des cas, à l'étage fémoro-poplité dans 47% des cas (moyen diagnostic : EDC dans 73% des cas, angio-CT dans 23%, ARM dans 4%).

Dans le groupe "avec angioplastie", on note 96% de succès primaire (102/106) avec 7% de complications mineures et 62% de pose de stent(s). Sur les 4 échecs, 3 ont été opérés, 1 a été traité par entrainement à la marche.

Le nombre moyen de séances d'entrainement à la marche supervisé durant l'année de suivi a été de 30 (sur 46 à 59 recommandés) dans le groupe "avec angioplastie", et de 43 dans le groupe "exercice seul".

5 patients ont été perdus dans le groupe "avec angioplastie" (dont 1 décès de cause cardiovasculaire), 8 ont été perdus dans le groupe "exercice seul" (dont 3 décès, 2 de cause cardiovasculaire et 1 par cancer).

 

2-Critère principal de jugement.

La distance de marche maximale a augmenté significativement dans les 2 groupes mais plus dans le groupe "avec angioplastie" (en moyenne de 264 m à 1237 m dans le groupe "avec angioplastie" vs de 285 m à 955 m dans le groupe "exercice seul").

A noter que le bénéfice dans le groupe "avec angioplastie" diminue avec le temps : + 566 m (IC99% : 358-774 m) à 1 mois, + 409 m (IC99% : 183-636 m) à 6 mois et + 282 m (IC99% : 60-505 m) à 1 an.

 

3-Critères secondaires de jugement.

  • o La distance de marche sans douleur a augmenté significativement dans les 2 groupes mais plus dans le groupe "avec angioplastie" (en moyenne de 117 m à 1120 m dans le groupe "avec angioplastie" vs de 135 m à 712 m dans le groupe "exercice seul"). La différence entre les 2 groupes diminuait aussi avec le temps passant de 543 m à 1 mois à 408 m à 12 mois.
  • o L'IPS de repos et l'IPS post-effort ont augmenté dans le groupe "avec angioplastie" et n'ont pas ou presque pas bougé dans le groupe "exercice seul". Là aussi on note une dégradation avec le temps dans le groupe "avec angioplastie".
  • o Dégradation clinique. Dans le groupe "exercice seul", 23 patients (22%) ont eu une angioplastie (21) ou un pontage (2) durant les 12 mois de suivi (dégradation ou persistance d'une claudication invalidante). Dans le groupe "avec angioplastie", 8 patients (8%) ont été réopérés (3 angioplasties, 5 pontages), la différence est significative.
  • o Re-sténoses dans le groupe "avec angioplastie" : 73 patients ont eu un écho-Doppler à 1 an, il a été noté une re-sténose significative chez 23 patients (32%), 17 à l'étage fémoro-poplité, 6 à l'étage aorto-iliaque.
  • o Qualité de vie : une amélioration significative de la qualité de vie a été notée dans les deux groupes, plus importante dans le groupe "avec angioplastie".

 

DISCUSSION

 

ERASE est le premier essai randomisé ayant la puissance suffisante pour tester un traitement combiné "angioplastie + entrainement supervisé à la marche" versus "entrainement à la marche supervisé seul" chez des patients présentant une claudication artérielle par lésions aorto-iliaques ou fémoro-poplitées.

Dans l'étude CLEVER (Murphy et al, Circulation, 2012) un 4ème bras comparant ces deux options avait été interrompu prématurément et sorti de l'étude du fait d'un recrutement trop lent. Il en a été de même pour l'étude MIMIC (Greenhalgh et al, EJVES 2008). Une étude similaire (Mazari et al, Br J Surg 2013) ne montrait pas de différence entre les 2 groupes mais le test de marche sur tapis roulant était limité à 5 min.

Cette étude relance le débat sur la revascularisation première par angioplastie chez le claudicant. L'idée étant que l'augmentation de flux induite par l'angioplastie première donne une impulsion à la mobilité du patient et par la suite facilitent les exercices de marche. Alors qu'un tiers des patients du bras traitement combiné "angioplastie + entrainement supervisé à la marche" présentent une re-sténose à 1 an, seulement 4% nécessiteront une ré-intervention pour récidive de claudication suggérant que l'entrainement à la marche prévient la dégradation clinique malgré la progression des lésions. Dans l'étude de Mazari et al (Br J Surg 2013) il était noté un bénéfice similaire. Mais une condition importante pour obtenir cette synergie est que les deux traitements soient bien combinés, chacun avec la même rigueur, en d’autres termes que l'exercice de marche ne soit pas qu'un vague conseil après l'angioplastie.

Cette étude confirme aussi la valeur de l'entrainement à la marche supervisé dans le management de la claudicant puisque les patients du bras "exercice seul" on a aussi une belle augmentation de la distance de marche et de la qualité de vie. Une analyse cout-efficacité est en cours pour savoir si le bénéfice clinique supplémentaire du traitement combiné se justifie par rapport au seul entrainement à la marche supervisé.

 

Limites.

Les auteurs relèvent quelques limites à leur étude :

1-Les résultats ne sont généralisables qu'aux patients avec une claudication stable.

2-En l'absence de définition précise et validée d'une différence pertinente dans les distances de marche sur tapis roulant, il n'est pas certain que la différence notée ait un sens au quotidien pour le patient.

3-Vu la décroissance régulière dans le temps de la différence dans la distance de marche entre les deux groupes, il n'est pas sûr que cette différence reste significative au-delà de un an de suivi. L'amélioration de la distance de marche tend à se stabiliser dans le groupe "angioplastie + entrainement à la marche supervisé" alors qu'elle continue à croître dans le groupe "entrainement à la marche supervisé seul". L'amélioration de la distance de marche avec l'entrainement à la marche passe par le développement de la circulation collatérale et l'optimisation du métabolisme musculaire, elle est plus longue à se mettre en place mais plus continue.

4-Le nombre de séances d'entrainement à la marche supervisé suivies par le patient a été moindre que ce qui avait été recommandé, cela a pu défavoriser le groupe "exercice seul".  Néanmoins (i) le bénéfice a été du même ordre voire plus important que dans d'autres études, (ii) le nombre optimal de séances n'est pas défini.

 

 

Editorial de MaryMcGrae McDermott (Erasing Disability in Peripheral Artery Disease. The Role of Endovascular Procedures and Supervised Exercise).

 

Dans l'éditorial accompagnant ce superbe article, MaryMcGrae McDermott insiste sur les points suivants:

 

1-L'AOMI est fréquente (plus de 200 millions d'hommes et de femmes dans le monde facteur de sur-mortalité cardio-vasculaire et de handicap fonctionnel. Le traitement médical actuel a fait chuter la mortalité cardiovasculaire, mais le handicap fonctionnel demeure et affecte donc de plus en plus de patients.

 

2-Le traitement médicamenteux de la claudication est limité et peu efficace. L'entrainement à la marche supervisé a indiscutablement fait ses preuves, mais il est d'accès limité et est peu proposé (alors que toutes les recommandations internationales ont mis l'entrainement à la marche en traitement de 1ère intention de la claudication d'origine artérielle). Il faut convaincre les autorités sanitaires, les médecins et les patients de ses bienfaits d'autant que le gain obtenu est non seulement profitable à la réduction du handicap fonctionnel mais également à la diminution du risque cardio-vasculaire.

 

3-Parallèlement le taux d'angioplastie pour claudication artérielle a explosé (+ 400% aux USA de 1999 à 2007) même si on considère la réduction du taux de pontages pour claudication (3 angioplasties en plus pour 1 pontage en moins). Cet accroissement est-il justifié d'un point de vue EBM ? Pas franchement ! Dans l'étude CLEVER par exemple, les patients randomisés "entrainement à la marche supervisé" améliorent plus leur distance de marche sur tapis roulant que les patients randomisés "stenting" ... mais en termes de ressenti c'est l'inverse ! Une revue systématique récente (Malgor et al, J Vasc Surg 2015) montre que "entrainement à la marche supervisé", revascularisation par angioplastie ou pontage ont des résultats du même ordre sur la claudication et l'aptitude à la marche. La différence est dans le timing, le bénéfice de l'angioplastie est immédiat et tend à diminuer avec le temps, le bénéfice de l'entrainement à la marche supervisé est graduel, se manifeste au bout de 1 à 2 mois et s'accroit avec le temps. A terme, le bénéfice est similaire dans les deux groupes, voire meilleur dans le groupe "exercice seul".

 

4-Les résultats de l'étude ERASE ne doivent pas être interprétés comme justifiant un accroissement des indications d'angioplastie chez le claudicant :

--il faut tenir compte des accidents, échecs et dégradations de l'angioplastie sans ou avec stenting (environ la moitié des angioplasties réalisées chez le claudicant sont des angioplasties itératives, le taux d'angioplasties itératives est croissant et la morbidité augmente avec le nombre d'angioplasties).

--le bénéfice du traitement combiné "angioplastie + entrainement à la marche supervisé" par rapport au seul entrainement à la marche supervisé est maximal à 1 mois* et diminue avec le temps. Un suivi à plus d'un an est nécessaire pour voir si la courbe de dégradation du bénéfice se stabilise ou va jusqu’à la perte de tout bénéfice.

--le programme d'entrainement à la marche supervisé n'a pas été appliqué comme prévu (nombre de séances moindre que recommandé, surtout dans le bras "avec angioplastie").

* rappelons que l'entrainement à la marche supervisé dans le groupe avec angioplastie débutait 2 à 4 semaines après l'angioplastie ...

 

J'ajouterais que

1-dans l'étude ERASE, l'entrainement à la marche complémentaire de l'angioplastie est un véritable traitement complémentaire et non un simple conseil en quittant le patient ; dans l'idée d'ERASE, angioplastie et entrainement à la marche supervisé forment un tout !

2-il faut attendre les résultats de l'analyse coût-efficacité qui dira si le bénéfice supplémentaire noté en combinant angioplastie et entrainement à la marche supervisé se justifie, si le delta supplémentaire d'amélioration de la distance de marche et de la qualité de vie est suffisamment pertinent et durable pour justifier le coût de l'angioplastie (coût incluant la iatrogénie et les dégradations).

3-les preuves d'efficacité de l'entrainement à la marche supervisé, les bénéfices de l'entrainement à la marche tout court chez le claudicant sont aujourd'hui tels qu'il est urgent de lui donner la place qu'il mérite.