CONTROLE ECHO-DOPPLER APRES ABLATION THERMIQUE DE LA VEINE GRANDE SAPHENE

Titre original : 
Value of delayed duplex ultrasound assessment after endothermal ablation of the great saphenous vein.
Titre en français : 
CONTROLE ECHO-DOPPLER APRES ABLATION THERMIQUE DE LA VEINE GRANDE SAPHENE
Auteurs : 
Ryer EJ, Elmore JR, Garvin RP, Cindric MC, Dove JT, Kekulawela S, Franklin DP.
Revue : 
Journal of Vascular Surgery. 2016 Feb 20. In press.

Traductions & commentaires : 
Olivier PICHOT



Cette étude analyse l’intérêt médico-économique de la réalisation d’un examen écho-Doppler (ED) différé, une semaine après traitement par ablation thermique endo-veineuse de la veine grande saphène (VGS), en plus de l’examen initial, réalisé selon les recommandations Nord-Américaines dans les 24 à 72 heures, pour la recherche d’une extension thrombotique au niveau de la jonction saphéno-fémorale (JSF).

Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 842 patients ayant bénéficié entre 2007 et 2014 d’un traitement endo-veineux thermique (radiofréquence ou laser endo-veineux) le plus souvent associé à la réalisation de phlébectomies. Une extension thrombotique a été observée au total chez 43 (5.1%) patients. 20 des 43 patients présentait une extension thrombotique déjà décelable à J1, mais dans 19 cas, l’extension est survenue secondairement et n’a pu être détectée qu’au contrôle à J8. Dans les 4 derniers cas, l’extension thrombotique a été détectée au-delà du 8ème jour chez des patients ayant présenté un événement thromboembolique symptomatique : thrombose des veines tibiales (n = 2), thrombose non occlusive de la veine fémorale commune (n = 1), embolie pulmonaire avec thrombose veineuse profonde (n = 1).

Les facteurs de risque d’extension thrombotique étaient représentés en analyse univariée par des antécédents de thrombose veineuse profonde (9% vs 3% p = 0.03), une classe clinique CEAP élevée (p = 0.01), un plus grand diamètre (9.3 versus 7.8 mm) de la VGS (p = 0.006) et curieusement la prise de statine (33% vs 19% p=.04), ces deux derniers items restant seuls significatifs en analyse multivariée.

Concernant le risque d’extension thrombotique entre J1 et J8, seul était significatif, quel que soit le type d’analyse, un plus grand diamètre de la veine grande saphène (11 mm vs 7.8 mm, p = 0.007). Ce risque concernait essentiellement les patients présentant à J1 une oblitération de la VGS au ras de la JSF.

Bien que le nombre d’extensions thrombotiques survenant après le premier contrôle ne soit pas négligeable, les auteurs concluent qu’un deuxième examen ED systématique chez tous les patients serait d’un mauvais rapport coût-efficacité. Ils conseillent en revanche de revoir à J8 les patients présentant à J1 une oblitération de la VGS au ras de la JSF.

 

Les résultats de cette étude ne sont pas directement transposables à la pratique française, mais ils apportent des données intéressantes sur le délai optimal d’un contrôle ED après ablation endoveineuse thermique, sur la population à laquelle un dépistage peut s’adresser, sur ses implications thérapeutiques, et sur son utilité clinique.

 

L’ablation thermique vise à obtenir une oblitération du tronc de la veine grande saphène en préservant délibérément la perméabilité de la JSF, l’extrémité du cathéter ou de la fibre étant positionnée à distance de la JSF. De fait, le résultat idéal d’un traitement endo-veineux thermique consiste en une oblitération du tronc de la VGS avec la persistance d’un court moignon de crosse où se drainent la ou les tributaires de la JSF, et principalement la veine épigastrique. Néanmoins la formation d’un thrombus peut survenir au niveau de ce moignon. Elle est classiquement attribuée à une propagation de l’énergie thermique (EHIT : Endovenous Heat Induced Thrombosis). Kabnick a décrit en 4 classes ces extensions thrombotiques (Tableau 1) (1). La classification de Lawrence, utilisée dans cette étude, est comparable mais décrit en plus les niveaux 1 et 2 qui correspondent à un résultat thérapeutique normal et attendu (Tableau 2) (2).

 

La conduite à tenir devant ces aspects échographiques n’est pas consensuelle. On propose généralement un traitement anticoagulant par HBPM de courte durée en cas d’extension limitée du thrombus à la VFC et un traitement anticoagulant curatif conventionnel en cas de thrombose patente de la VFC (niveau 6 de Lawrence, classes 3 et 4 de Kabnick). La conduite à tenir est laissée au libre arbitre de l’opérateur en cas d’extension du thrombus au ras de le JSF (anticoagulation ou surveillance).

De la même façon, la prescription post-opératoire d’un traitement anticoagulant préventif n’est pas parfaitement codifiée.  Longtemps systématique en France et actuellement plutôt réservée aux patients à risque thrombotique élevé, elle n’est généralement pas proposée aux USA, ce qui justifie la réalisation d’un contrôle précoce et la mise en place d’une stratégie thérapeutique basée sur les constatations de l’ED post-opératoire.

 

Plusieurs interrogations persistent par rapport au problème des EHIT concernant leur incidence, leurs facteurs de risque, leur signification clinique et l’intérêt d’une prévention et/ou d’un dépistage.

 

INCIDENCE

Dans cette étude, la fréquence des EHIT avec une protrusion du thrombus au-delà de la JSF est de 5,1%. Dans la littérature, la survenue de EHIT est rapportée avec une fréquence variant de 0,2% à 15% (3,4). Dans la récente méta-analyse de Dermody, l’incidence des EHIT est de 0,8% après radiofréquence, et de 0,5% après laser endoveineux (5). L’incidence des EHIT est donc faible. De plus, l’extension thrombotique dans la VFC est le plus souvent très limitée. Dans l’étude de Sulfian qui a concerné une cohorte de 1236 VGS traités par LEV, l’incidence des EHIT a été de 1% avec une répartition dans les classes 1, 2, 3 et 4 de Kabnick de respectivement 41,7%, 58,3%, 0% et 0% (6).

L’étude de Ryer souligne que la fréquence des EHIT peut varier du simple au double en fonction du délai entre le traitement et la date du contrôle ED, mais d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte.

 

FACTEURS DE RISQUE

Dans cette étude, le facteur de risque le plus significatif de survenue d’un EHIT est le plus grand diamètre de la VGS. Cette notion est retrouvée dans plusieurs études alors que le poids d’autres facteurs tels que l’âge, le sexe masculin, les antécédents thromboemboliques, un score de Caprini élevé, une classe clinique CEAP élevée ou la réalisation de phlébectomies concomitantes est plus controversé. Comme le souligne Ryer dans la discussion de cet article, la population traitée dans les différentes études n’est pas toujours comparable, ce qui peut influer sur l’incidence des EHIT et sur le rôle des facteurs de risque observés. De plus, les modalités pratiques de réalisation des traitements endoveineux peuvent varier, en particulier en ce qui concerne le type d’anesthésie, paradoxalement plus souvent générale que locale comme elle devrait l’être.

La position précise de l’extrémité du cathéter ou de la fibre ne semble pas jouer sur l’incidence des EHIT, mais elle est toujours très standardisée, à 2 ou 3 cm de la JSF.

Un nouveau paradigme peut aider à expliquer ces apparentes contradictions. On peut postuler que le concept physiopathologique d’une thrombose induite par la chaleur est le plus souvent erroné. Les modèles expérimentaux montrent que la diffusion de l’énergie thermique est limitée aux tissus situés en regard de l’élément chauffant du cathéter de radiofréquence ou de l’extrémité des fibres laser à tir radial actuellement utilisées. La survenue d’une extension thrombotique au-delà de la zone traitée semble essentiellement liée à la stase veineuse au niveau du moignon de la VGS, favorisée par un plus grand diamètre de la VGS, et surtout par une absence d’un drainage efficace du moignon par les veines tributaires dont la répartition fait l’objet de grandes variations anatomiques.  Sur cette base, il serait logique de positionner l’extrémité du cathéter ou de la fibre à environ 5 mm en amont de l’abouchement de la principale tributaire de la JSF quitte à se rapprocher à moins de 2 cm de la JSF. A l’inverse, le concept de thrombose induite par la chaleur pousse à s’éloigner de la JSF et favorise donc la stase qui survient de façon aléatoire puisque l’anatomie de la JSF n’est jamais prise en compte dans les études. Cette hypothèse physiopathologique reposant sur la stase permettrait d’expliquer la survenue d’une extension thrombotique jusqu’au ras de la JSF par un positionnement inadéquat du cathéter ou de la fibre par rapport aux caractéristiques anatomiques de la JSF. La stase peut aussi être majorée par une anesthésie générale, ou par la réalisation de phlébectomies étendues qui allongent la durée de l’intervention. L’extension thrombotique au-delà de la JSF, lavée par le flux de la veine fémorale, suppose, elle, l’existence d’un risque thrombotique élevé lié au patient ou la survenue d’une agression thermique directe de la paroi de la VFC en cas de faute technique de positionnement du cathéter.

 

SIGNIFICATION CLINIQUE

Dans cette étude, les 4 événements thromboemboliques cliniques observés sont survenus chez des patients qui ne présentaient aucun EHIT aux différents contrôles. L’incidence des complications thromboemboliques cliniques après traitement endo-veineux thermique est objectivement très faible, de 0,5 % dans cette étude et de 0,2% dans la méta-analyse de Dermody. Toutes les extensions thrombotiques observées ne sont donc pas directement corrélées à un risque d’événement clinique.

 

PREVENTION

Une prévention thromboembolique n’est généralement pas proposée aux USA, et elle est réservée en France aux patients à risque thrombotique élevé en sachant que les facteurs de risque sur lesquels en repose l’indication ne sont pas formellement validés. En l’absence de recommandation précise, il semble raisonnable d’évaluer pour chaque patient le rapport bénéfice-risque d’une prévention. Compte tenu du nombre important de procédures actuellement réalisées, la notion de coût-efficacité peut aussi être légitimement prise en compte.

 

DEPISTAGE

Ici, une extension thrombotique à la VFC a été dépistée au total chez 5.1% des patients et très logiquement, un examen ED réalisé à J8 dépiste plus de EHIT qu’à J1.

La conclusion de cette étude aurait pu être différente et conseiller simplement de retarder l’examen de dépistage à J8, comme cela est généralement pratiqué en France. Cette attitude apparaît d’autant plus cohérente que les événements thromboemboliques cliniques précoces, survenant pendant la première semaine, semblent exceptionnels. Le parti pris des auteurs a donc été de ne pas remettre en cause l’examen ED des 72 premières heures recommandé par les guidelines de l’American Venous Forum et de rationnaliser la conduite à tenir qui en découle sur la base d’une analyse médico-économique (7). En France, l’HAS recommande toujours depuis 2008 la réalisation d’un ED de contrôledans les 10 jours après traitement endo-veineux thermique (radiofréquence ou laser) avec pour objectif de contrôler l’efficacité́ de la procédure endovasculaire et de s’assurer de l’absence de phénomène thrombotique. Avec un taux d’oblitération immédiate de près de 100% la vérification immédiate de l’efficacité des traitements thermiques actuels (LEV, radiofréquence Venafit) n’est sans doute plus aussi impérative que précédemment (8,9). De la même façon, avec une incidence très faible des événements thrombo-emboliques cliniques, le dépistage d’une pathologie thrombotique ne reste à priori justifié que chez les patients à risque thrombotique élevé. Néanmoins, cette notion reste encore assez floue et l’élaboration d’un score de risque spécifique s’impose dans l’avenir. Il devrait prendre en compte :

- les caractéristiques anatomiques de la terminaison de la VGS (diamètre, distribution des tributaires favorable ou non),

- le risque thrombotique spécifique du patient,

- les modalités techniques de l’intervention (type d’anesthésie, phlébectomies).

 

STRATEGIE DIAGNOSTIQUE ET THERAPEUTIQUE

Le dépistage d’une extension thrombotique de la JSF doit être intégré à une stratégie thérapeutique dont les modalités ne sont pas encore clairement définies. Il doit aussi compléter ou se substituer à une prévention anti-thrombotique dont l’intérêt n’est pas démontré chez tous les patients.

 

 

Au total, cette étude met en exergue toutes les questions qui restent en suspens par rapport au problème des extensions thrombotiques de la JSF post ablation thermique (acronyme anglais PASTE à préférer à l’acronyme EHIT).

La rareté des événements thromboemboliques cliniques et leur absence de lien direct avec l’observation de « EHIT » en ED interrogent sur l’intérêt d’un dépistage systématique.

Proposer une prévention anti thromboembolique aux patients à risque apparaît comme une stratégie plus pertinente mais les facteurs de risque ne sont pas consensuels dans les différentes études et l’élaboration dans l’avenir d’un score de risque spécifique serait souhaitable.

 

 

 

Références

 

1. Dexter D, Kabnick L, Berland T et al. Complications of endovenous lasers. Phlebology, 2012 ; 27(suppl 1): 40–45.

2. Lawrence PF, Chandra A, Wu M, Rigberg D, DeRubertis B, Gelabert H et al. Classification of proximal endovenous closure levels and treatment algorithm. J Vasc Surg, 2010 ; 52 :388-93.

3. Marsh P, Price BA, Holdstock J, Harrison JC, Whiteley MS. Deep Vein Thrombosis (DVT) after Venous Thermoablation Techniques : Rates of Endovenous Heat-induced Thrombosis (EHIT) and Classical DVT after Radiofrequency and Endovenous Laser Ablation in a Single Centre. Eur J Vasc Endovasc Surg, 2010 ; 40 : 521-527

4. Hingorani AP, Ascher E, Markevich N et al. Deep venous thrombosis after radiofrequency ablation of greater saphenous vein: a word of caution. J Vasc Surg, 2004 ; 40 : 500-504. 


5. Dermody M, Schul MW, O’Donnell TF, Thromboembolic complications of endovenous thermal ablation and foam sclerotherapy in the treatment of great saphenous vein insufficiency. Phlebology,
2015 ; 30(5) : 357-364.

6. Sulfian S, Arnez A, Labropoulos N, Lakhanpal S. Endovenous heat-induced thrombosis after ablation with 1470 nm laser: Incidence, progression, and risk factors. Phlebology,
2015 ; 30(5) : 325–330
.

7. Gloviczki P, Comerota AJ, Dalsing MC, Eklof BG, Gillespie DL, Gloviczki ML, et al. Society for Vascular Surgery, American Venous Forum. The care of patients with varicose veins and associated chronic venous diseases: clinical practice guidelines of the Society for Vascular Surgery and the American Venous Forum. J Vasc Surg, 2011; 53 :2S-48S.

8. Rasmussen LH, Bjoern L, Lawaetz M, Lawaetz B, Blemings A, Eklo B. Randomised Clinical Trial Comparing Endovenous Laser Ablation with Stripping of the Great Saphenous Vein : Clinical Outcome and Recurrence After 2 Years? Eur J Vasc Endovasc Surg, 2010 ; 39 : 630-635.

9. Proebstle TM, Alm BJ, Göckeritz O, Wenzel C, Noppeney T, Lebard C, Sessa C, Creton D, Pichot O. Five-year results from the prospective European multicentre cohort study on radiofrequency segmental thermal ablation for incompetent great saphenous veins. Br J Surg, 2015; 102 : 212–218

 

 

 

Tableau 1 : Classification de Kabnick (EHIT)

 

Classe 1 : Extension au raz de la jonction saphéno-fémorale

Classe 2 : Extension du thrombus dans la VFC, thrombus occupant moins de 50% de la section de la VFC

Classe 3 : Extension du thrombus dans la VFC, thrombus occupant plus de 50% de la section de la VFC

Classe 4 : Occlusion complète de la VFC

 

 

Tableau 2 : Classification de Lawrence

 

Niveau 1 : Occlusion sous l’abouchement de la veine épigastrique

Niveau 2 : Occlusion au raz de l’abouchement de la veine épigastrique

Niveau 3 : Occlusion au raz de l’abouchement de la jonction saphéno-fémorale

Niveau 4 : Occlusion de la veine grande saphène avec protrusion du thrombus dans la veine fémorale commune (VFC)

Niveau 5 : Thrombus protrusif dans la VFC et adhérent à la paroi de la VFC

Niveau 6 : Extension du thrombus à la VFC