Seuil du taux de D-dimères adapté à l’âge pour exclure une MTEV.

Titre original : 
Questioning the use of an age-adjusted D-dimer threshold to exclude venous thromboembolism: analysis of individual patient data from two diagnostic studies: reply.
Titre en français : 
Seuil du taux de D-dimères adapté à l’âge pour exclure une MTEV.
Auteurs : 
Takach Lapner S, Julian JA, Linkins LA, Bates S, Kearon C.
Revue : 
J Thromb Haemost. 2016; 14: 1953-59.

Traductions & commentaires : 
Guillaume TISSERAND.



INTRODUCTION

Le taux de D-dimères est généralement plus élevé chez les sujets âgés, et la question d’un seuil adapté à l’âge a déjà fait l’objet de plusieurs études, la formule utilisée étant  de multiplier l’âge du patient par 10 à partir de 50 ans (exemple pour un patient de 75 ans : seuil de D-dimères à 750 μg/L). Cette stratégie semble permettre d’augmenter la proportion de patients « D-dimères négatifs » et d’exclure une MTEV avec une sécurité identique [1]. Néanmoins, les auteurs de cet article remettent en cause l’utilité d’un seuil adapté à l’âge, en émettant l’hypothèse que l’efficacité de cette stratégie ne reflète qu’un seuil plus élevé sur l’ensemble de la population.
Pour tester cette hypothèse, ils ont comparé 3 stratégies : seuil de D-dimères adapté à l’âge, seuil moyen de D-dimères (défini comme la moyenne du seuil de D-dimères lorsqu’il est adapté à l’âge), et seuil de D-dimères inversé à l’âge (seuil plus élevé chez les sujets jeunes) (figure 1).

METHODOLOGIE

Les données des patients ont été obtenues à partir de 2 études prospectives concernant des patients suspects de MTEV : un essai randomisé concernant des patients suspects de thrombose veineuse profonde (TVP), et une étude de cohorte concernant des patients suspects d’embolie pulmonaire (EP). Les patients sélectionnés avaient une probabilité clinique faible ou intermédiaire., Les patients hospitalisés étaient exclus. Le taux de D-dimères était mesuré par la technique STA®- Liatest®.

Les 3 stratégies étaient définies comme suit :
1) Stratégie ajustée à l’âge : D-dimères négatifs si < 500 μg/L chez les patients de moins de 50 ans. Chez les sujets de plus de 50 ans : D-dimères négatifs si < âge × 10.
2) Stratégie D-dimères moyens : le seuil moyen de D-dimères utilisé dans la stratégie ajustée à l’âge était de 620 μg/L. Dans ce groupe, on considère un taux de D-dimères négatifs si < 620 μg/L.
3) Stratégie inversement ajustée à l’âge : D-dimères négatifs si < 500 μg/L chez les patients de plus de 66 ans. Chez les patients de moins de 66 ans, le seuil utilisé est : 500 + 10 fois la différence entre l’âge du patient et 66 ans (exemple pour un patient de 40 ans : seuil = 500 + 10 × (66-40) = 760 μg/L).

RESULTATS

Ont été inclus 1649 patients, dont 66% de femmes : 1011 étaient suspects de TVP, et 638 suspects d’EP. L’âge moyen était de 58 ans. Une MTEV était diagnostiquée chez 109 patients dont 101 lors du bilan initial (38 TVP et 63 EP) et 8 autres au cours du suivi (4 TVP et 4 EP). Lorsque le seuil conventionnel de D-dimères était utilisé (500 μg/L), la sensibilité était de 98.2%, la spécificité de 46.8 %, la valeur prédictive négative de 99.7%. Le test était négatif dans 43.8% des cas.

Avec les stratégies testées, les résultats ont été les suivants:

- D-dimères ajustés à l’âge : sensibilité 97,3%, spécificité 54%, valeur prédictive négative 99.6%, « D-dimères négatifs » : 50.9%.

- D-dimères moyens (620 μg/L) : sensibilité 97.3%, spécificité 55.1%, valeur prédictive négative 99.7%, « D-dimères négatifs » : 51.7%.

- D-dimères inversement ajustés à l’âge : sensibilité 98.2%, spécificité : 52.9%, valeur prédictive négative : 99.8%, « D-dimères négatifs » : 49.5%.

Comparaison D-dimères ajustés à l’âge / D-dimères moyens :

Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre ces 2 tests. Les auteurs nous rapportent l’analyse des patients « discordants » entre ces 2 tests, à savoir les patients négatifs pour une stratégie et positifs pour l’autre, et viceversa :
- 36 patients étaient négatifs pour la stratégie ajustée à l’âge, et positifs pour la stratégie D-dimères moyens (620 μg/L) (commentaire : donc patients âgés de plus de 62 ans).
- 48 patients étaient positifs pour la stratégie ajustée à l’âge, et négatifs pour la stratégie D-dimères moyens (620 μg/L) (commentaire : donc patients âgés de moins de 62 ans).
- Dans ces 2 groupes de patients, aucun n’avait de MTEV.


Comparaison D-dimères ajustés à l’âge / D-dimères inversement ajustés à l’âge.

Là encore, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre ces 2 tests.
Concernant les patients « discordants » :
- 101 patients étaient négatifs pour la stratégie ajustée à l’âge et positifs pour la stratégie inversement ajustée à l’âge : un patient était atteint de MTEV parmi ces patients (son taux de D-dimères était à 530 μg/L, pas de précision sur la nature de l’évènement thrombo-embolique).
- 77 patients étaient positifs pour la stratégie ajustée à l’âge, et négatifs pour la stratégie inversement ajustée à l’âge : aucun de ces patients n’avait de MTEV.

DISCUSSION

Sur la base de ces données, les auteurs concluent qu’il n’y a pas d’intérêt à utiliser un seuil de D-dimères adapté à l’âge, et que le gain de spécificité mis en évidence dans les études antérieures ne serait dû qu’à une augmentation du seuil global du taux de D-dimères. La stratégie originale du seuil inversé à l’âge (qui en pratique clinique semblerait peu pertinente de prime abord) permet aux auteurs de confirmer cette conclusion.
Le principal intérêt du dosage de D-dimères est d’écarter avec sécurité le diagnostic de MTEV sur un test de D-D négatif sans autre examen complémentaire, chez le plus grand nombre de patients possible. Or dans les 3 stratégies utilisées, la proportion de patients à D-Dimères négatifs est identique, autour de 50%, vs 43,8% lorsqu’on utilise le seuil conventionnel à 500 μg/L. Le fait d’augmenter le seuil dans un sens ou dans l’autre (chez les sujets âgés ou chez les sujets jeunes) ne modifie donc pas le bénéfice apporté.
Les limites de l’étude rapportées par les auteurs sont le faible nombre de patients ayant une MTEV au sein de la cohorte (<10%) et le caractère rétrospectif. On peut ajouter que l’âge moyen des patients est relativement jeune (58 ans) surtout si l’on veut s’intéresser au seuil adapté à l’âge, et qu’il s’agit de patients atteints de TVP ou d’EP (en pratique courante le dosage du taux de D-dimères est surtout utile en cas de suspicion d’EP).

CONCLUSION

Cette étude n’est pas en faveur de l’utilisation d’un seuil adapté à l’âge, mais pose la question d’un seuil global qui pourrait être revu à la hausse, le seuil utilisé ici à 620 μg/L ayant les mêmes performances que le seuil conventionnel à 500 μg/L, et permettant à certains patients d’éviter des examens complémentaires. Les auteurs précisent bien toutefois qu’on ne peut recommander actuellement l’utilisation du seuil 620 μg/L pour la pratique courante, et que d’autres études sont nécessaires pour déterminer le seuil optimal.


Cet article à fait l’objet d’un commentaire de la part de Gilles PERNOD dans le numéro de Décembre :
Pernod G, Maignan M, Marlus R. Questioning the use of an age-adjusted D-dimer threshold to exclude venous thromboembolism: analysis of individual patient data from two diagnostic studies: comment. J Thromb Haemost. 2016 ; 14: 2553–2554.

Ainsi que d’une réponse de l’auteur dans le même numéro :
Takach Lapner S, Julian JA, Linkins LA et al. Questioning the use of an age-adjusted D-dimer threshold to exclude venous thromboembolism: analysis of individual patient data from two diagnostic studies: reply. J Thromb Haemost. 2016 ; 14: 2554–2556.