INTRODUCTION
La détermination de la durée et des modalités de traitement d’une maladie veineuse thrombo-embolique (MVTE) constitue une étape clef de la prise en charge des patients (1). Bien que cette question reste sujette à la controverse, trois certitudes sont acquises : (1) la durée minimale de traitement d’une embolie pulmonaire ou d’une thrombose veineuse profonde proximale est de 3 mois minimum (1-3); (2) chez les patients ayant un facteur de risque majeur transitoire, le risque de récidive est faible et ne justifie pas de poursuivre le traitement au delà de 6 mois (1-3); et (3), chez les patients à risque élevé de récidive (MVTE non provoquée), une durée prolongée de 1 an ou 2 ans ne réduit pas le risque de récidive à long terme comparé à 3 ou 6 mois si bien que ces patients doivent être traités 6 mois ou pour une durée non limitée (1,4). C’est dans cette dernière certitude que demeure néanmoins la difficulté au quotidien : qui doit être traité d’emblée pour une durée non limitée et comment ? C’est à cette question que tente de répondre l’étude EINSTEIN-CHOICE (5).
METHODES
Dans l’étude randomisée en double aveugle EINSTEIN-CHOICE, 3396 patients ayant eu une MVTE initialement traitée 6 à 12 mois et pour laquelle les médecins étaient indécis sur la nécessité de prolonger le traitement anticoagulant ou non (patients n’ayant pas une indication formelle à un traitement anticoagulant non limité) ont été randomisés à recevoir soit le rivaroxaban à dose pleine (20 mg x1/jour), soit le rivaroxaban à dose réduite (10 mg x1/jour) soit l’aspirine à faible dose (100 mg/jour, il s’agit du bras de référence) pendant un an (5). L’objectif principal de l’étude était de démontrer la supériorité, sur le risque de récidive thrombo-embolique veineux symptomatique, du rivaroxaban à dose réduite ou pleine sur l’aspirine. Les objectifs secondaires étaient de comparer le risque d’hémorragie grave puis les hémorragies et cliniquement pertinentes non graves dans les 3 groupes.
RESULTATS
Un total de 3365 patients a été inclus dans l’analyse en intention de traiter. S’agissant des caractéristiques, l’âge moyen était de 59 ans, la majorité avait une clairance de la créatinine supérieure à 50 ml/minute, 50% des MVTE étaient une EP ; enfin, 40% des patients avaient une MVTE non provoquée et 60% une MVTE provoquée par un facteur transitoire ou persistant (sans que le détail soit apporté dans l’article). S’agissant de l’objectif principal, les fréquences d’une récidive thrombo-embolique dans les groupes rivaroxaban à dose pleine, rivaroxaban à dose réduite et aspirine étaient de 1,2%, 1,5% et 4,4%, respectivement. Ainsi, une réduction du risque relatif statistiquement significative du risque de récidive de 66% dans le groupe rivaroxaban 20 mg comparé à l’aspirine, et de 74% dans le groupe rivaroxaban 10 mg comparé à l’aspirine étaient observées. En revanche, l’étude n’a pas permis de démontrer une non-infériorité du rivaroxaban à 10 mg comparé au rivaroxaban à 20 mg. Le risque hémorragique était faible dans les trois groupes, avec des fréquences d’hémorragie majeure de 0,5%, 0,4% et 0,3%, respectivement, et des fréquences d’hémorragies cliniquement pertinentes non majeures de 2,7%, 2,0% et 1,8%, respectivement. Aucune différence sur les décès de toute cause n’a été observée. Enfin, aucune hétérogénéité de l’effet du traitement à l’étude n’a été observée sur les analyses en strates.
COMMENTAIRES
Cette étude a vérifié son objectif principal à savoir une supériorité du rivaroxaban à dose pleine ou à dose réduite sur l’aspirine sur le risque de récidive thrombo-embolique veineux (réduction du risque relatif de récidive de 2/3 environ). Ainsi, cette étude confirme une balance bénéfice-risque défavorable de l’aspirine par rapport aux anticoagulants : l’aspirine n’est pas une option efficace ni à moindre risque pour la prévention d’une récidive de MVTE. En cohérence avec l’étude « AMPLIFY-EXTENSION », ayant comparé l’apixaban à dose réduite ou pleine avec un placebo (6), les risques hémorragiques sous anticoagulant oral direct étaient faibles et non différents entre les trois bras de traitement, confirmant un profil de sécurité favorable.
Toutefois, des limites méthodologiques diminuent l’impact de ces résultats sur la pratique clinique. Premièrement, la population incluse est à risque modéré de récidive thrombo-embolique avec 60% des patients inclus ayant un facteur provoquant associé. Certes, certains de ces patients ont potentiellement un facteur provoquant persistant (la définition est imprécise dans l’article), mais si on prend en compte la réduction de risque de 25% de l’aspirine, le risque de récidive théorique de cette population ne dépasse pas 6,5% à 1 an.
Deuxièmement, la taille de l’effectif et le schéma de l’étude ne permettent pas de démontrer une non-infériorité du rivaroxaban à dose réduite par rapport au rivaroxaban à dose pleine, en particulier chez les sous-groupes de patients à haut risque de récidive, quand bien même les analyses en strates n’ont pas retrouvé d’hétérogénéité. Or l’enjeu majeur aujourd’hui est de déterminer si, chez des patients ayant un risque élevé de récidive, tel qu’un premier épisode de MVTE non provoquée ou, à fortiori, une MVTE non provoquée récidivante ou associée à un facteur persistant, un traitement anticoagulant oral direct à dose réduite est non inférieur sur le risque de récidive thrombo-embolique veineux et supérieur sur le risque hémorragique comparé à un anticoagulant oral direct poursuivi à dose pleine. L’étude « AMPLIFY-EXTENSION » ne répond pas d’avantage à cette question (6). Par conséquent, d’autres études, conduites chez des patients à haut risque de récidive, doivent être réalisées pour déterminer si un traitement anticoagulant oral direct à dose réduite est la modalité de traitement associée à la meilleure balance bénéfice-risque.
Références
1- Kearon C, Akl EA, Ornelas J, Blaivas A, Jimenez D, Bounameaux H et al. Antithrombotic Therapy for VTE Disease: CHEST Guideline and Expert Panel Report. Chest 2016;149:(2)315-352.
2- Schulman S, Rhedin A-S, Lindmarker P, Carlsson A, Lärfars G, Nicol P et al. A comparison of six weeks with six months of oral anticoagulant therapy after a first episode of venous thromboembolism. N Engl J Med. 1995;332:1661-65.
3- Baglin T, Luddington, Brown K, Baglin C. Incidence of recurrent venous thromboembolism in relation to clinical and thrombophilic risk factors: prospective cohort study. Lancet 2003; 362: 523-26.
4- Couturaud F, Sanchez O, Pernod G, Mismetti P, Jego P, Duhamel E, et al. Two years versus six months of oral anticoagulation after a first episode of unprovoked pulmonary embolism. The PADIS-PE multicenter, double-blind, randomized, trial. JAMA. 2015 Jul 7;314(1):31-40.
5- Weitz JI, Lensing AWA, Prins MH, Bauersachs R, Beyer-Westendorf J, Bounameaux H, Brighton TA, Cohen AT, Davidson BL, Decousus H, Freitas MCS, Holberg G, Kakkar AK, Haskell L, van Bellen B, Pap AF, Berkowitz SD, Verhamme P, Wells PS, Prandoni P; EINSTEIN CHOICE Investigators. Rivaroxaban or Aspirin for Extended Treatment of Venous Thromboembolism. N Engl J Med. 2017 Mar 30;376(13):1211-1222.
6- Agnelli G, Buller HR, Cohen A, et al; AMPLIFY-EXT Investigators. Apixaban for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med. 2013;368(8):699-708.