Prévention du syndrome post-thrombotique par chaussettes de compression : durée individualisée versus durée standard. Etude IDEAL-DVT.
Au moment où cette étude IDEAL DVT a été élaborée et initiée[1], l'efficacité des chaussettes/bas de compression élastique (CVE) à prévenir la survenue d'un syndrome post-thrombotique (SPT) après TVP était clairement démontrée, la prescription de CVE en prévention du SPT était recommandée dans les guidelines. Toutefois la durée optimale du traitement préventif n'avait pas été étudiée.
Le but de l'étude IDEAL DVT était de comparer la durée de traitement standard de 2 ans à une durée de traitement adaptée à l'état du patient au-delà des 6 premiers mois post-TVP.
MATERIEL ET METHODE
Il s'agit d'une étude multicentrique (12 centres hospitaliers hollandais, 2 italiens), randomisée, en simple aveugle, allocation cachée, en non-infériorité.
La marge de non-infériorité a été établie à 7.5%. Cette marge reposait sur le principe de préserver au moins 70% de l'efficacité thérapeutique obtenue dans des études similaires.
Il a été calculé que 848 patients étaient nécessaires pour arriver à conclusion avec une puissance suffisante. Il a été envisagé un taux de perdus de vue < 2% (au final, seulement 1.39% perdus de vue). Au total, 864 (432*2) patients devaient donc être inclus.
Critères d'inclusion/exclusion
Critère d'inclusion : patients avec thrombose veineuse profonde (TVP) aigue proximale d'un membre inférieur, correctement traitée par anticoagulants et compression dans les 24h suivant le diagnostic.
Critères d'exclusion : patients avec espérance de vie < 6 mois, ou avec MTEV traitée par thrombolyse, ou avec antécédent de TVP ipsilatérale, ou contre-indication à la compression élastique. Les patients avec signes pré-existants d'insuffisance veineuse chronique (IVC, C3-C6) ont également été exclus. De même, les patients ayant présentés une récidive de TVP ipsilatérale dans les 6 premiers mois ont été exclus de manière à ne pas interférer avec l'évaluation du devenir de la TVP initiale.
Les patients inclus ont été randomisés (1:1) en 2 bras
- traitement compressif standard durant les 6 premiers mois post-TVP puis traitement compressif de durée adaptée à l'état veineux du patient jugé sur le score de Villalta (bras intervention) ;
- traitement compressif pour une durée standard de 24 mois post-TVP (bras contrôle).
La randomisation a été stratifiée par centre, âge et BMI.
Les patients ont été informés de la randomisation par téléphone mais la randomisation a été masquée à l'infirmière d'étude et au médecin traitant et il a été demandé au patient de ne rien révéler de la randomisation.
Dispositif de compression utilisé
A - En phase initiale de traitement (dans les 24h du diagnostic de TVP à la réduction de l'œdème, en moyenne), 3 options étaient laissées aux centres investigateurs
-Bandage (bandes à extension courte, 30 à 40 mmHg de pression) porté jour et nuit (431 patients)
-Bas 35 mmHg (Mediven Struva 35) porté jour et nuit (235 patients)
-Pas de compression (190 patients).
B - Ultérieurement dès la fin de la phase initiale (soit 24 ± 16 jours si bandage en phase initiale, 18 ± 14 jours si bas en phase initiale, 13 ± 11 jours si pas de compression en phase initiale) les patients ont porté durant la journée des chaussettes de classe III internationale (30-40 mmHg à la cheville, comme dans 6/8 des RCT précédents). A noter qu'il s'agissait de chaussettes sur mesures tricotées sur métier à plat. Le renouvellement de chaussettes était effectué par le centre coordonnateur (2 paires par an).
Scénarios dans le groupe intervention (durée de traitement CVE individualisée)
1-Score de Villalta ≤ 4 aux visites de suivi de 3 et 6 mois : arrêt du traitement par CVE
2-Score de Villalta ≥ 5 aux visites de suivi de 3 et 6 mois : poursuite du traitement par CVE pour une durée totale de 24 mois.
3-Score de Villalta ≥ 5 à 3 mois et ≤ 4 à 6 mois : poursuite du traitement par CVE pour 6 mois de plus. A 12 mois, si score de Villalta ≤ 4, arrêt du traitement par CVE sinon poursuite.
Durant la 1ère année post-TVP, les patients n'ayant pas deux scores de Villalta consécutifs ≤ 4 étaient considérés comme instables et inéligibles pour un traitement par CVE raccourci. Si un patient développait des symptômes ou signes de SPT après arrêt du traitement par CVE, le traitement était réintroduit pour 1 semaine ; si la symptomatologie persistait, le traitement était réintroduit pour le long cours.
Les patients ont été suivis sur 2 ans avec 5 visites en consultation externe par l'infirmière d'étude ou le médecin traitant : à l'inclusion, à 3, 6, 12 et 24 mois. Les symptômes (subjectif) étaient notés par le patient sur un questionnaire internet (lien adressé par mail la veille de la consultation) ou papier (adressé par courrier postal). Les signes (objectif) étaient notés par la nurse ou le médecin traitant.
L'adhérence au traitement par CVE a été évaluée par questions spécifiques sur les questionnaires précédents les visites de suivi et par des appels téléphoniques aléatoires du staff de suivi.
Le type et la durée du traitement anticoagulant ont été laissés à la discrétion du médecin traitant.
Critères de jugement
Critère de jugement primaire : proportion de patients avec SPT à 24 mois après la TVP index, le diagnostic de SPT étant fait sur la base du score de Villalta (≥ 5 à deux visites consécutives distantes d'au moins 3 mois). Villalta 5 à 9 : SPT mineur
Villalta 10 à 14 : SPT modéré
Villalta ≥ 15 ou Ulcère : SPT sévère
En sus, la proportion de SPT selon la méthode ISTH a été évaluée. La méthode ISTH résulte en plus de patients-SPT diagnostiqués, particulièrement sous forme de SPT mineurs. La méthode originelle est plus raisonnable pour le diagnostic de SPT.
Critères de jugement secondaires :
- Récidive d'événement thrombo-embolique veineux.
- Décès lié à la MTEV durant le suivi (évalués par un comité d'adjudication indépendant).
- Qualité de vie liée à la santé jugée à chaque visite (questionnaires SF-36, EQ-5D, Veines-QOL).
RESULTATS
Huit cent soixante-cinq patients (865) ont été enrôlés dans l'étude du 22/03/2011 au 01/04/2015.
L'inclusion a été faite dans un délai moyen de 18 jours (IQR 17-19) après le diagnostic de TVP proximale aigue (sachant qu'une stratégie de compression était mise en place dans les 24h du diagnostic).
Neuf patients ont présenté une récidive de TVP dans les 6 mois et ont été exclus conformément au protocole ; restaient donc 856 patients pour analyse en intention-de-traiter.
Il n'a pas été noté de différence significative entre les 2 groupes concernant les caractéristiques de base et le traitement anticoagulant.
L'adhérence au traitement proposé (usage journalier ou presque des chaussettes de compression / pas de compression) a été similaire dans les deux groupes
96% à 3 mois, 93% à 6 mois, 81% à 12 mois, 77% à 24 mois dans le groupe intervention (CVE ou non en fonction du score de Villalta).
96% à 3 mois, 93% à 6 mois, 87% à 12 mois, 79% à 24 mois dans le groupe contrôle (CVE 24 mois)
CVE dans le groupe intervention
283 / 432 patients (66%) ont pu arrêter la compression CVE avant 24 mois : 236 (55%) après les 6 premiers mois, 47 (11%) entre 12 et 24 mois.
Chez 9 des 283 patients qui ont arrêté la compression, la compression a dû être reprise du fait de la réapparition de la symptomatologie. Chez 8 autres, la compression a été réinstaurée pour 8 jours conformément au protocole.
Incidence du SPT.
Dans le groupe intervention (CVE individualisée) un SPT est apparu chez 125 (29%) des 432 patients.
Dans le groupe contrôle (CVE 2 ans) un SPT est apparu chez 118 (28%) des 424 patients. Soit un OR 1·06 (95% CI, 0·78 - 1·44) et une différence absolue de 1·1% (95% CI, 5·2 - 7·3).
L'incidence cumulée du SPT à 730 jours a été de 28·9% (95% CI, 24·7 - 33·5) dans le groupe intervention vs 27·8% (23·6 - 32·4) dans le groupe contrôle (HR ajusté par centre 1·13, 95% CI, 0·88 - 1·46; p = 0·77).
La distribution de la sévérité du SPT a été similaire dans les deux groupes.
|
Durée de traitement individualisée (n = 432) |
Durée de traitement standard (24 mois) (n = 424) |
Nombre de SPT à 24 mois (selon le score original de Villalta) |
125 (29%) |
118 (28%) |
Pas de SPT (score < 5) |
307 (71%) |
305 (72%) |
SPT mineur (score 5-9) |
84 (19%) |
67 (16%) |
SPT modéré (score 10-14) |
32 (7%) |
35 (8%) |
SPT sévère (score > 14 ou ulcère) |
9 (2%) |
17 (4%) |
Identification des SPT
L'analyse de l'incidence cumulée de SPT montre que 74% des SPT étaient identifiés à 6 mois : 92/125 (74%) SPT du bras intervention (n = 432) et 87/118 (74%) SPT du bras contrôle (n = 424).
A 12 mois, il y en avait 8 de plus (8/125=6.4%) dans le bras intervention et 10 de plus (10/118=8.5%) dans le bras contrôle).
A 24 mois, il y en avait 25 de plus (25/125=20%) dans le bras intervention et 21 de plus (21/118=18%) dans le bras contrôle.
Critères secondaires
Le taux de récidive de MTEV a été similaire dans les deux groupes.
Décès : 24 patients sont décédés mais aucun décès n'était relatif au traitement ; de même, il n'a pas été noté d'événement indésirable grave lié au traitement.
QOL : Les scores de qualité de vie ont été similaires dans les deux groupes.
COMMENTAIRES
Cette étude montre que pour la prévention du syndrome post-thrombotique après TVP proximale aigue, une durée de traitement par CVE individualisée selon le score de Villalta à 6 mois n'est pas inférieure à une durée de traitement standard de 24 mois, et que cela n'altère pas la qualité de vie.
L'incidence de SPT observée est similaire à celle rapportée dans les études princeps de Brandjes (1997) et Prandoni (2004). Une durée personnalisée de traitement par CVE après TVP proximale est faisable sans risque d'augmenter l'incidence du SPT; elle est efficace puisque plus de la moitié des patients (55%) peuvent stopper le traitement par CVE 6 mois après la TVP index et que seulement 3% d'entre eux doivent réintroduire le traitement par CVE.
Le recours au traitement préventif par CVE a été ébranlé par la publication de l'étude SOX[2]. Mais la faible adhérence au traitement a été pointée comme ayant largement contribuée au résultat négatif de SOX. Dans l'étude IDEAL DVT un traitement compressif était appliqué dans les 24h du diagnostic, ce qui n'était pas le cas non plus dans SOX, les patients avec IVC prononcée au départ n'ont pas non plus été exclus. A part SOX, l'étude des preuves montre globalement que le traitement préventif par CVE réduit de 30% l'incidence du SPT.
L'étude OCTAVIA2 montre que chez les patients avec bonne compliance au traitement (port de CVE 6 à 7 jours par semaine dans 85% des cas), les résultats après arrêt à 12 mois sont inférieurs à ceux d'un traitement standard de 24 mois, mais ce bénéfice est tiré par les SPT mineurs. On retrouve avec IDEAL DVT quelque chose de semblable quand on applique le score ISTH (qui favorise les SPT mineurs et modérés), reste à savoir si cette option est coût-efficace et si on n'impose pas au patient un traitement contraignant pour prévenir un SPT mineur.
Dans l'étude IDEAL DVT, l'adhérence au traitement était élevée tout au long de l'étude (> 90% à 3 mois, presque 80% à la dernière visite). Ce taux d'adhérence élevé se retrouve dans toutes les études montrant l'efficacité de la compression CVE à prévenir le SPT.
La comparaison SOX vs IDEAL DVT est intéressante pour le taux d'ulcères à 2 ans ;
- à 2 ans, le taux de patients sans SPT (Villalta < 5) est de 71% dans IDEAL DVT vs 51% dans SOX.
- à 2 ans, le taux de SPT sévère (Villalta ≥ 15 ou ulcère) est de 3% dans IDEAL DVT vs 7.5% dans SOX.
- à 2 ans, moins de 1% d'ulcères dans IDEAL DVT (2/856=0.23%) vs 4.2% dans SOX.
Comme quoi, quand l'adhérence au traitement compressif est bonne, ça marche !!
Au total, une durée personnalisée du traitement préventif par CVE du syndrome post-thrombotique après TVP proximale aigue basée sur le score de Villalta à 6 mois est non-inférieure à une durée de traitement standard de 2 ans.
Cette durée de traitement personnalisée permet de limiter la durée du traitement à 6 mois pour la moitié des patients, elle sans danger et efficace ; de plus, elle améliore probablement la qualité de vie des patients et réduit les coûts de santé.
LIMITES DE L’ETUDE
1-L'étude IDEAL DVT a été élaborée et initiée à un moment où la prescription de CVE en prévention du SPT était une recommandation de grade 1A. L'objet de cette étude n'était pas de démontrer l'efficacité de la compression, d'où l'absence de 3ème bras placebo.
2-La définition de la marge de non-infériorité est toujours discutable surtout quand l'incidence globale est de l'ordre de 30%. Néanmoins comme le critère de jugement principal (incidence du SPT à 2 ans) est numériquement quasi identique dans les deux groupes, on peut être confiant dans le fait que le traitement personnalisé est réellement non-inférieur au traitement standard.
3-Le taux de décès est un peu plus important dans le bras traitement personnalisé, essentiellement du fait d'un taux de cancers aussi un peu plus important. Ceci est probablement lié au hasard.
[1] Début de l'étude le 22/03/2011. Publication du protocole in BMJ Open en 2014 (2014;4:e005265)
[2] Les études SOX (négative, pas de bénéfice de la compression élastique dans la prévention du syndrome post-thrombotique) et OCTAVIA (ne validant pas une durée de compression de 1 an par rapport à 2 ans) ont été publiées la 1ère durant le cours et la 2nde à la fin de cette étude IDEAL DVT.
A noter que dans SOX la compliance est très faible alors que dans OCTAVIA elle est élevée (85%).