Cet article étudie le taux de récidive à long terme d’un premier épisode de maladie thromboembolique non provoqué en fonction du taux de D-dimères à l’arrêt du traitement. Après un premier suivi de 2 ans rapporté en 2015 cet article rapporte le suivi plus prolongé pour une durée totale de 5 ans
INTRODUCTION
Les patients avec un premier épisode de maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) non provoquée ont un risque de récidive plus élevé que les patients ayant une MTEV avec un facteur déclenchant réversible. Le seul fait que la MTEV soit une TVP proximale ou une EP, est en lui-même un facteur de risque de récidive plus élevé que devant une TVP distale isolée ; la durée de traitement est débattue entre 3 mois, 6 mois ou indéfinie. La possibilité de stratifier le risque de récidive devant un premier épisode de MTEV non provoquée, signifierait que les patients à faible risque de récidive seraient traités 3 mois et les autres de manière indéfinie.
Le risque de récidive semble moitié moins élevé chez les patients dont le taux de D-dimères 1 mois après l’arrêt des anticoagulants est normal, comparé à ceux qui ont toujours des D-dimères augmentés. Il a donc été proposé d’arrêter les anticoagulants après 3 ou 6 mois chez les patients avec des D-dimères normaux. Une cohorte prospective de patients après un premier épisode de MTEV non provoquée avec des D-dimères normaux a été constituée. Le suivi à 2 ans a été publié en 2015 (étude DODS : D-dimer Optimal Duration Study) (1). Le taux de récidive était plus élevé qu’attendu chez les hommes (9.7% par patient-année), plus bas chez les femmes non exposées aux œstrogènes (5.4% par patient-année) et très bas chez les femmes exposées aux œstrogènes quand ils étaient arrêtés (pas de récidives).
Comme le choix d’arrêter ou de poursuivre les anticoagulants est plus influencé par le risque de récidive à long terme qu’à court terme, les patients de l’étude DODS ont été suivis pour 3 années supplémentaires.
METHODES
Des patients ont été recrutés dans 13 centres entre septembre 2008 et mars 2012. Initialement ils ont été suivis jusqu’au 31 mai 2013 ; puis dans 10 centres - 3 centres ont décliné une participation prolongée - le suivi sans interruption a été prolongé de 36 mois (jusqu’à juin 2016).
Il s’agissait de patients de plus de 18 ans après un premier épisode de MTEV non provoquée ayant reçu un traitement de 3 à 7 mois de warfarine (INR entre 2 et 3). Les femmes dont la MTEV était liée à une exposition aux œstrogènes (contraception ou traitement substitutif) étaient éligibles si les œstrogènes étaient arrêtés. Un dosage de D-dimères était réalisé pendant le traitement anticoagulant. Les patients dont le taux était élevé continuaient les anticoagulants sans qu’un deuxième dosage ne soit réalisé. Les patients dont le taux était normal voyaient leur traitement interrompu. Un deuxième dosage était réalisé un mois plus tard : si le taux était de nouveau positif, les anticoagulants étaient réintroduits (warfarine sans héparine préalablement). Au cours du suivi, le switch vers un AOD était autorisé. Les patients dont le deuxième dosage restait négatif étaient surveillés, sans traitement ni dosage de D-dimères ultérieur. Les patients de plus de 75 ans ou ayant une autre indication de traitement anticoagulant ou ayant un risque hémorragique élevé, étaient exclus. Les patients avaient signé un consentement pour un suivi complémentaire de 3 ans
Le critère de jugement était la première récidive de MTEV symptomatique (TVP proximale ou EP) chez les patients n’ayant plus de traitement anticoagulant : en cas de récidive, le traitement était réintroduit Les récidives étaient authentifiées par des tests écho-Doppler ou scanner. Les morts subites ont été considérées comme des embolies pulmonaires. N’étaient retenues que les TVP et les EP proximales (exclusion des TVP du mollet ou les EP sous-segmentaires). Les hémorragies majeures et mineures répondaient aux critères habituels. La recherche d’un cancer était effectuée devant des symptômes évocateurs. Les évènements étaient classifiés par un comité d’adjudication non averti de l’existence ou non d’un traitement anticoagulant
Quatre-cent-dix patients ont été recrutés pour l’étude DOSD.
Deux-cent-quatre-vingt-treize patients étaient éligibles et ont consenti à un suivi supplémentaire de 3 ans. Au début des 3 ans supplémentaires, 231 patients étaient toujours sans traitement et 51 toujours sous traitement au long cours. Pour 11 patients, on ne dispose pas de l’information.
Pour les 319 patients ayant initialement arrêté le traitement (en réponse à 2 dosages de D-dimères négatifs), 60 récidives de MTEV sont survenues au cours des 5 ans de suivi pour un suivi de 1180 patients-année. Ceci correspond à un taux de récidive cumulé de 5.1% (IC 95 %3.-6.4) par patient–année et un taux cumulatif de récidive à 5 ans de 21.5% (IC 95% 16.4-26.5)
Les analyses des 3 sous-groupes montrent un taux de récidive de 7.5% (IC 95% 5.5-10.0) par patient-année chez l’homme, 3.8% (IC 95% 2.0-6.6) par patient-année chez les femmes non exposées aux œstrogènes et 0.4% (IC 95% 0.4-2.3) par patient-année chez les femmes exposées aux œstrogènes.
Le taux cumulatif à 5 ans était de 29.7% (IC95% 22.1-37.3) chez l’homme, 17% (IC 95% 16.4-26.5) chez les femmes non exposées aux œstrogènes et 2.3% (IC 95% 0.-6.8) chez les femmes exposées aux œstrogènes.
Le taux de récidive annuel au cours du suivi complet de 5 ans était de 7.8% (IC 95% 5.2-11.7) au cours de la première année, 7.5% (IC 95% 4.8-11.8) au cours de la deuxième année, 2.9% (IC 95% 1.3-6.5) au cours de la troisième année, 3.9% (IC 95% 1.8-8.1) au cours de la quatrième année, 2.1% (IC 95% 0.7-6.6) au cours de la cinquième année et 1.9% (IC 95% 0.2-6.9) au cours de la sixième année et les suivantes (p<0.001 pour la tendance à la diminution des récidive au cours du temps).
A cours du suivi chez les 69 patients sous traitement indéfini, sont survenues 4 récidives pour un suivi de 244 patients-année, soit un taux de récidive de 1.6 % par patient-année (IC 95% 0.4-4.2).
Au cours du suivi chez les patients sous anticoagulants en réponse à un taux de D-dimère élevé au recrutement ou à 1 mois, le taux d’hémorragie majeure a été de 1.6% par patient-année (IC 95% 0.5-3.7)
Au cours du suivi, un cancer a été mis en évidence chez 2 des 14 patients dont les D-dimères étaient positifs au recrutement, et 6 parmi les 55 ayant positivé leurs D-dimères à 1 mois ; 12 patients sont décédés (1 par EP, 1 par hémorragie, 4 de cause cardio-vasculaire, 2 par sepsis, 1 par lupus, 1 par cancer, 1 par colite ischémique, 1 de cause inconnue).
DISCUSSION
Avec un suivi médian de 5 ans, les auteurs ont montré que les patients ayant présenté un premier épisode de MTEV non provoquée dont le traitement a été interrompu après un dosage de D-dimère négatif ont un taux de récidive substantiel de 21.5 % sur 5 ans. Le risque de récidive diffère beaucoup selon le sexe avec un taux de récidive 2 fois plus important chez les hommes que chez les femmes dont la MTEV n’était pas reliée à une prise d’œstrogène, avec un taux de récidive très faible chez les femme dont la MTEV était liée à la prise d’œstrogène. Le taux de récidive au cours des 2 premières années est nettement plus élevé qu’au cours des années suivantes suggérant que le taux annuel de récidive continue de baisser lors d’un suivi plus prolongé.
Limites : la puissance de l’étude ne permet pas de mesurer précisément le taux de récidive dans chacun des 3 groupes et un quart des patients n’a pas eu le suivi complet des 3 ans complémentaires. Les patients de plus de 75 ans n’avaient pas été inclus en raison de la grande proportion de patients susceptibles d’avoir des D-dimères augmentés et donc d’avoir un traitement anticoagulant prolongé avec un risque hémorragique élevé ; les résultats de cette étude ne peuvent pas être extrapolés à une population générale.
Les conclusions des auteurs sont que le taux de récidives chez les hommes est trop élevé pour justifier l’arrêt des anticoagulants sur un taux de D-dimères négatif ; chez les femmes que, lorsque la MTEV n’est pas associée aux œstrogènes, un taux de D-dimères négatif peut amener à arrêter les anticoagulants si aucune autre raison ne concoure à les poursuivre. Chez les patientes dont la MTEV est liée aux œstrogènes, le taux de récidive est tellement faible quand les œstrogènes sont arrêtés qu’il n’est pas nécessaire de doser les D-dimères pour décider de l’arrêt des traitements.
COMMENTAIRES
Les résultats de cette cohorte (sans groupe comparateur) sont concordants avec ceux d’autres études montrant que le taux de récidive chez les hommes est plus important que chez les femmes, même en cas de D-dimères négatifs, ce qui rendrait inutile le dosage des D-dimères sous traitement. On ne dispose dans cette population d’aucun des autres facteurs de risque de récidive : on constate qu’elles se produisent précocement (au cours des deux premières années pour la plupart). Les populations les plus âgées sont exclues de cette étude alors qu’elles ont un risque hémorragique important. On regrette de ne pas connaître la mortalité et les complications hémorragiques chez les patients dont le traitement a été arrêté.
Références
Kearon C et al. d-Dimer Testing to Select Patients With a First Unprovoked Venous Thromboembolism Who Can Stop Anticoagulant Therapy: A Cohort Study. Ann Intern Med 2015; 162: 27-34.