OBJECTIF
L’objectif de cette étude était de mesurer l’effet du mode de vie sur l’incidence des maladies chroniques, notamment cardiovasculaires, le diabète et les cancers.
RATIONNEL
Des facteurs de style de vie modifiables, notamment le tabagisme, l'activité physique, la consommation d'alcool, le poids corporel et la qualité de l'alimentation, influent sur l'espérance de vie totale et l'incidence des maladies chroniques. Peu d'études ont examiné de manière approfondie comment une combinaison de plusieurs facteurs liés au style de vie peut être corrélée à l'espérance de vie, en évitant la survenue des maladies chroniques tel le diabète, les maladies cardiovasculaires ou le cancer.
LES SUJETS
The Nurses' Health Study (étude sur la santé des infirmières) est une série d'études prospectives nord-américaines qui ont examiné l'épidémiologie et les effets à long terme de la nutrition, de la prise d’hormones, de l'environnement et de la vie professionnelle d’infirmières sur leur santé et le développement des maladies notamment chroniques. Les études du Nurses' Health Study ont été parmi les plus importantes enquêtes sur les facteurs de risque de maladies chroniques majeures jamais menées. Elles ont permis de mieux cerner les facteurs de risque et les mesures de prévention sur la santé et le bien-être, notamment dans le cancer, les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2. Un des principaux résultats obtenus à partir de cette vaste cohorte est d’avoir montré qu’un mode de vie sain était associé à une espérance de vie totale accrue et à une espérance de vie sans cancer, maladies cardiovasculaires et diabète de type 2. Dans la présente étude de Li et al. 73 196 femmes ont été incluses et suivies sur la période 1980-2014.
The Health Professionals Follow-Up Study (HPFS) ou étude de suivi des professionnels de la santé est une étude de cohorte prospective de 51 529 professionnels de santé masculins américains âgés de 40 à 75 ans. Le HPFS a débuté en 1986. Le but de cette étude était d'évaluer une série d'hypothèses sur la santé des hommes reliant les facteurs nutritionnels à l'incidence de maladies graves, telles que le cancer, les maladies cardiaques et d'autres maladies vasculaires. Cette étude exclusivement masculine était le pendant de la Nurses' Health Study sur la santé des infirmières qui examinait des hypothèses similaires. Le HPFS est parrainé par la Harvard School of Public Health et financé par le National Cancer Institute. Dans la présente étude, les sujets ont été suivis de 1986 à 2014.
METHODES
Cinq facteurs de risque : le tabagisme, l’indice de masse corporel (IMC), l’activité physique, les apports en alcool et caloriques ont été étudiés. Le but précis de l’étude était de mesurer l’effet sur l’incidence des principales maladies chroniques : 1) de n’avoir jamais fumé ; 2) d’avoir un IMC compris entre 18,5 et 24,9 ; 3) d’une activité physique d’au moins 30 minutes par jour ; 4) d’une consommation d’alcool modérée (pour les femmes de 5 à 15 g/jour, pour les hommes de 5 à 30 g par jour) ; 5) d’une ration riche en fibres et pauvre en acides gras saturés et en sucres rapides.
Les critères d’évaluation étaient l’espérance de vie sans diabète, maladies cardiovasculaires et cancer.
RESULTATS
L’espérance de vie sans diabète, maladies cardiovasculaires et cancer à l’âge de 50 ans était de 23,7 ans (IC 95% 22,6 à 24,7) pour les femmes qui n’avaient adopté aucune mesure de réduction des facteurs de risque et de 34,4 ans (IC 95% 33,1 à 35,5) pour les femmes qui avaient adopté de 4 à 5 des mesures prônées pour réduire le risque de maladies chroniques. Le gain est donc d’environ 11 années de vie. Chez les hommes, l’espérance de vie sans diabète, maladies cardiovasculaires et cancer à l’âge de 50 ans était de 23,5 ans (IC 95% 22,3 à 24,7) pour les hommes qui n’avaient adopté aucune mesure de réduction des facteurs de risque et de 31,1 ans (IC 95% 29,5 à 32,5) pour les hommes qui avaient adopté de 4 à 5 des mesures prônées pour réduire le risque de maladies chroniques (figure). Le gain de vie est donc d’environ 7 ans. Le tabagisme à plus de 15 cigarettes par jour pour les hommes et un IMC ≥ 30 pour les hommes et les femmes représentaient les facteurs de risque à même de réduire le plus l’espérance de vie des sujets.
DISCUSSION
Cette étude épidémiologique propose une estimation de l’espérance de vie de sujets, hommes et femmes, à partir de 50 ans, exempts de trois maladies chroniques majeures aux États-Unis, les cancers, les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2 dont les associations avec les facteurs de style de vie sont bien documentées. Dans ce travail, une distinction a été faite entre les personnes ayant un mode de vie jugé sur la présence de quatre à cinq facteurs et les personnes ayant un mode de vie sain et zéro facteur de risque. L'étude présente un intérêt certain car elle permet de quantifier le bénéfice d'une vie saine d'une manière différente de celle des odd ratios ou hazard ratios habituels, c'est-à-dire en l’exprimant par des années supplémentaires de vie vécues avec et sans maladie (s). Comme l'écrivent les auteurs, cette façon de quantifier les risques et les avantages se traduit plus facilement dans la mise en œuvre de politiques publiques et fournit probablement de meilleures estimations des besoins et des coûts en soins de santé.
Les points forts de cette étude sont le suivi à long terme de deux grandes cohortes avec de faibles taux de perte de vue. L’évaluation des facteurs de style de vie a été mesurée méthodiquement au fil du temps. L'utilisation de valeurs collectées prospectivement et moyennées en utilisant de nombreuses évaluations répétées a réduit l'impact des erreurs de mesure. Cette étude a mesuré la fréquence des cancers, des maladies cardiovasculaires et du diabète de type 2 dont les associations avec les facteurs de style de vie étaient bien documentées
Cette étude comporte également des limites. Il s’agit d’une étude pratiquée sur des populations nord-américaines et la transposabilité des résultats doit être relativisée à l’aune d’un risque populationnel différent d’avec celui mesuré en Europe par exemple. Les sujets examinés sont des professionnels de santé ce qui module évidemment les résultats. Il est en effet facile de penser que des professionnels de santé sont bien placés pour appréhender des messages de prévention. Par ailleurs il s’agit majoritairement d’une population blanche quand nous savons que de grandes inégalités séparent les populations blanches des noires aux Etats-Unis, inégalités qui peuvent se traduire par une espérance de vie différente. La période de suivi est longue ce qui peut constituer un facteur de confusion. Sur une longue période d’étude, les sujets inclus peuvent avoir changé leur mode de vie après le diagnostic de maladies. De même les conseils s’agissant de l’alimentation peuvent avoir varié en fonctions des décennies. Néanmoins, l’analyse de sensibilité prenant en compte ces biais potentiels a montré des résultats similaires. Les facteurs liés au mode de vie ont été autodéclarés et les erreurs de mesure sont donc inévitables. Enfin, l’espérance de vie « sans maladie» calculée aurait été modifiée si d’autres maladies, telles que les maladies respiratoires, les maladies rénales ou la démence avaient été incluses. La gravité et les complications cliniques des maladies, n’ont pas été prises en compte ce qui auraient pu avoir un impact sur l'espérance de vie.
CONCLUSION
Il s’agit d’un travail intéressant permettant de chiffrer le bienfait sur l’espérance de vie d’un mode vie excluant les facteurs de risque habituels de maladies.
Figure : comparaison de l’espérance de vie chez les femmes et les hommes à l’âge de 50 ans, atteints d’un cancer, d’une maladie cardiovasculaire ou d’un diabète (en violet) ou sans (en jaune), selon qu’ils avaient un ou plusieurs facteurs de risque.
