Avantages et dommages du dépistage de l'anévrisme de l'aorte abdominale (AAA) chez les hommes en Suède : une étude de cohorte sur registre.
Cette étude doit être replacée dans le contexte historique du dépistage des AAA. L'histoire des AAA commence véritablement avec le 1er pontage aorto-iliaque pour AAA en 1951 (Ch. Dubost) et le développement de l'échographie à usage médical (1951-1970). La constatation d'une forte augmentation de l'incidence des AAA (x 7 aux USA, Minnesota) et de la mortalité par AAA (UK, x20 chez les hommes, x 11 chez les femmes) dans les années 1950-1985 a conduit à 4 grandes études randomisées de dépistage des AAA essentiellement chez les hommes entre 1988 et 2007 (MASS, USA - Chichester, UK - Viborg, Danemark -Western Australia) qui ont montré que le dépistage induisait une réduction de 43% (36-50%) de la mortalité par AAA (toutefois sans réduction significative de la mortalité totale); le nombre de sujets à dépister pour éviter un décès par rupture était de 238 (1). Par la suite, le Royaume-Uni et la Suède ont mis en place des structures pour un dépistage de masse (¹) des AAA chez les hommes de 65 ans. Des études publiées en 2011 (2) et 2012 (3) ont jeté le trouble en montrant une forte diminution de la mortalité par AAA, cette réduction est étroitement parallèle à la décroissance du tabagisme et a commencé avant la mise en place des programmes de dépistage !
L'étude réalisée par Johansson (²) et al se place dans ce contexte : le dépistage de masse des AAA reste-t-il valable sachant que l'incidence des AAA au Royaume Uni et en Suède a diminué de plus de 70% depuis les grandes études des années 1980 et 1990 et qu'avec l'excès de diagnostic et de traitement (³) il faut ajouter à la balance coût-efficacité la balance bénéfice-risque ?
Le dépistage ultrasonique de masse des AAA pour les hommes âgés de 65 ans a été mis en place en Suède progressivement, régions par régions, entre 2006 et 2015 (taux de participation 85%). La Suède bénéficie également de registres de populations très développés pour toutes données médicales et chirurgicales.
Les auteurs ont étudié une cohorte de 25 265 hommes de 65 ans de 4 régions ayant eu un dépistage d'AAA entre 2006 et 2009. Les données ont été comparées à celle d'une cohorte-témoin contemporaine de 106 087 hommes du même âge issus de 9 autres régions qui n'ont introduit le dépistage d'AAA qu'entre 2010 et 2015. Pour évaluer les tendances générales au plan national, les registres des causes de décès (complet à 98%), d'hospitalisation (complet à 99%) et de chirurgie vasculaire aigue et élective (complet à 99%) ont été étudiés pour tous les hommes de 40 à 99 ans enregistrés comme résidents en Suède entre le 01/01/87 et le 31/12/2015, en excluant les régions dès lors que le dépistage d'AAA y était implanté.
Entre 2000 et 2015, la mortalité par AAA en Suède a diminué de 36 à 10 décès pour 100.000 hommes âgés de 65 à 74 ans et ce dans toutes les régions de Suède qu'un dépistage de masse y ait été mis en place ou non !
A 6 ans, il est noté une réduction non-significative de la mortalité par AAA chez les hommes dépistés (OR ajusté 0.76, 95% IC 0.38 - 1.51), soit 2 décès par AAA évités pour 10.000 hommes dépistés (95% IC -3 à 7).
Pour chaque 10.000 hommes dépistés, 49 (95% IC 25-73) sont probablement en "overdiagnosis" et 19 (95% IC 1-37) en "overtreatment" en défaveur de la balance bénéfice-risque.
Au total, le dépistage de masse des AAA en Suède ne contribue pas franchement à la réduction de la mortalité par AAA. La réduction de mortalité est probablement le fait d'autres facteurs dont en premier lieu la réduction du tabagisme (4). Le faible bénéfice du dépistage de masse des AAA et une balance bénéfice-risque moins favorable remettent en question l'intérêt ce dépistage.
Commentaire: Acosta S. Screening men for AAA under magnification loupe in Sweden. Lancet. 2018 Jun 16;391(10138):2394-2395
Dans son commentaire, S. Acosta apporte quelques nuances et livre un message de bon sens. Rejoignant les propos prémonitoires de R.M. Greenhalgh (« La preuve irréfutable du bénéfice du dépistage est à rechercher dans l’association dépistage - changement de style de vie et prise en charge du risque cardio-vasculaire », BMJ 2002), il souligne que si le dépistage d'un petit AAA peut être source de désagréments pour le patient, il est aussi une opportunité pour lui de faire un point cardio-vasculaire et d'entreprendre le traitement de ses facteurs de risque avec à terme un bénéfice clair sur la morbi-mortalité. Un AAA diagnostiqué est aussi l'occasion de faire le point de la maladie anévrismale et de découvrir d'autres anévrismes potentiellement graves comme les anévrismes thoraciques et poplités dont l'augmentation des prises en charge est notée. Il regrette également que le suivi ait été limité à 6 ans alors que Wanhainen avait montré que l'intérêt du dépistage des AAA devait être jugé à 10 ans (5). La diminution importante du nombre d'autopsies en Suède réduit aussi l'opportunité d'identifier les décès par rupture d'AAA survenus en dehors d'un hôpital. Sa dernière phrase est peut-être le message-clef: "Primary prevention programmes to reduce the prevalence of tobacco smoking is a top priority, whereas screening for AAA is not".
¹ Il importe de bien comprendre qu'il existe 2 grands types de dépistage: 1-dépistage de masse ou organisé qui s'adresse à une population non sélectionnée en général dans une tranche d'âge donnée, 2-dépistage sélectif ou opportuniste qui cible des patients sur des critères de facteurs de risque bien précis lors d'une visite médicale ou d'une hospitalisation par exemple. Les recommandations SFMV 2006 proposaient un dépistage opportuniste.
² A noter, comme le souligne S. Acosta dans son commentaire, que les auteurs sont des chercheurs de Santé publique : "a highly qualified research group of non-vascular surgeons who perhaps have minimal conflicts of interest"
³ Overdiagnosis : détection d'AAAs qui n'auraient jamais été symptomatiques durant la vie du patient. Overtreatment : conséquence de l'overdiagnostic, tendance à diminuer le seuil d'indication opératoire des recommandations (55 mm). L'un et l'autre sont sources de iatrogénie et de coûts inappropriés.
4 La prévalence du tabagisme en Suède est passée de 44% de la population en 1970 à 15% en 2010 !
Références
1. Takagi H, Goto SN, Matsui M, Manabe H, Umemoto T. A further meta-analysis of population-based screening for abdominal aortic aneurysm. J Vasc Surg. 2010 Oct;52(4):1103-8. doi: 10.1016/j.jvs.2010.02.283.
2. Lederle FA. The rise and fall of abdominal aortic aneurysm.Circulation. 2011 Sep 6;124(10):1097-9.
3. Harris R, Sheridan S, Kinsinger L. Time to rethink screening for abdominal aortic aneurysm? Arch Intern Med. 2012 Oct 22;172(19):1462-3.
4. Wanhainen A, Hultgren R, Linné A, Holst J, Gottsäter A, Langenskiöld M,Smidfelt K, Björck M, Svensjö S; Swedish Aneurysm Screening Study Group(SASS). Outcome of the Swedish Nationwide Abdominal Aortic Aneurysm Screening Program. Circulation. 2016 Oct 18;134(16):1141-1148.