D-DIMERES POUR SELECTIONNER LES PATIENTS QUI PEUVENT ARRETER LE TRAITEMENT ANTICOAGULANT APRES UN PREMIER EPISODE NON PROVOQUE DE MALADIE THROMBOEMBOLIQUE VEINEUSE : UNE ETUDE DE COHORTE

Titre original : 
D-Dimer Testing to Select Patients With a First Unprovoked Venous Thromboembolism Who Can Stop Anticoagulant Therapy: A Cohort Study.
Titre en français : 
D-DIMERES POUR SELECTIONNER LES PATIENTS QUI PEUVENT ARRETER LE TRAITEMENT ANTICOAGULANT APRES UN PREMIER EPISODE NON PROVOQUE DE MALADIE THROMBOEMBOLIQUE VEINEUSE : UNE ETUDE DE COHORTE
Auteurs : 
Kearon C, Spencer FA, O'Keeffe D, Parpia S, Schulman S, Baglin T, Stevens SM, Kaatz S, Bauer KA, Douketis JD, Lentz SR, Kessler CM, Moll S, Connors JM, Ginsberg JS, Spadafora L, Julian JA; D-dimer Optimal Duration Study Investigators.
Revue : 
Annals of internal medicine. 2015 Jan 6;162(1):27-34.

Traductions & commentaires : 
Antoine Elias



CONTEXTE

Chez les patients ayant une maladie thromboembolique veineuse (MTEV) non provoquée un test d-Dimère normal  après arrêt du traitement anticoagulant est associé à une  réduction du risque de récidive et peut justifier l’arrêt du traitement anticoagulant.

OBJECTIF

Déterminer quels patients sont à faible risque de récidive en cas de test d-Dimère négatif après un premier épisode non provoqué de MTEV .

SCHEMA

-          étude prospective de « management » (gestion de la MTEV selon un protocole),

-          étude multicentrique (13 centres universitaires),

-          évaluation par comité indépendant de jugement des évènements

-          période d’inclusion de Septembre 2008 à Mars 2012, suivi jusqu’à Mai 2013.

PATIENTS

-          patients (âge £ 75 ans) ayant eu un traitement pour un premier épisode non provoqué de thrombose veineuse profonde (TVP) proximale ou d’embolie pulmonaire (EP) pendant 3 à 7 mois

-          inclusion dans l’étude si le patient est éligible (satisfait aux critères d’inclusion), ne présente pas de critère de non-inclusion et accepte de participer (signature de consentement).

-          recrutement et inclusion centralisées effectuées avant la réalisation du test d-Dimère.

-          recrutement ne tient pas compte du test d-Dimère (ce qui permet d’inclure des patients de façon consécutive).

INTERVENTION

-          arrêt du traitement anticoagulantsi le test d-Dimère est négatif, pas de reprise du traitement si le test d-Dimère reste négatif 1 mois après arrêt des anticoagulants.

-          test d-Dimère utilisé : Clearview Simplify Assay (Alere), test qualitatif (positif/négatif), réalisé en consultation avec résultats rapides

CRITERES D’EVALUATION

-          récidive de TVP proximale ou d’EP au moins segmentaire. TVP distales et EP sous-segmentaires non comprises dans ces critères. Critères bien détaillés en annexe de l’article.

SUIVI

-          Suivi par téléphone tous les 3 mois

-          Suivi moyen de 2.2 ans.

ANALYSE

-          Méthode Kaplan-Meier (« analyse de survie »)

-          Effectif requis : 396 patients

RESULTATS

-          Sur 675 patients répondant aux critères d’inclusion, 410 ont pu être inclus : 231 hommes, 109 femmes « non-oestrogéniques » (la survenue de la MTEV n’était pas associée à un traitement oestrogénique), 70 femmes « oestrogéniques » (la survenue de la MTEV était associée à un traitement oestrogénique).

-          Caractéristiques des patients à l’inclusion: différence pour la femme oestrogénique (moins de diabète, moins de statine et d’antiagrégants plaquettaires, moins de facteurs de risque hémorragique, antécédent familial de MTEV plus fréquente, signes de « syndrome post-thrombotique » moins fréquent et localisé uniquement à un membre, moins de prescription de compression veineuse).

-          « Flow chart » explicite dans l’article: 319 patients (78%) avaient 2 tests d-Dimères négatifs et n’ont pas repris le traitement anticoagulant, 55 patients avaient le premier test négatif mais le deuxième positif et ont repris le traitement anticoagulant, et 14 seulement avaient un premier test d-Dimère positif et ont continué le traitement anticoagulant

-          le suivi était assuré chez tous les patients à l’exception de 6 (seulement !)

-          récidive :

  • globale : 6.7% (IC 95%, 4.8% à 9.0%) par patient-année (42/319)
  • chez l’homme : 9.7% (IC 95%, 6.7% à 13.7%) par patient-année (33/180)
  • chez la femme dont la survenue de la MTEV n’était pas associée à un traitement oestrogénique : 5.4% (IC 95%, 2.5% à 10.2%) par patient-année (9/81)
  • chez la femme dont la survenue de la MTEV était associée à un traitement oestrogénique : 0.0% (IC 95%, 0.0% à 3.0%) par patient-année (0/58)
  • Différence statistiquement significative entre les groupes de comparaison (p = 0.001).

IMPORTANCE DE L’EFFET

-          Chez l’homme: risque élevé, donc pas d’arrêt du traitement anticoagulant sauf si le risque hémorragique excède le risque thrombotique

-          Chez la femme « non-oestrogénique »: limite supérieure de l’IC à 95% haute, prudence extrême pour l’arrêt des anticoagulants

-          Chez la femme « oestrogénique » : risque faible, limite supérieure de l’intervalle de confiance acceptable à 3%.

CONCLUSION DES AUTEURS

-          Chez les patients ayant une MTEV non provoquée et un test d-Dimère négatif, le risque de récidive n’est pas assez faible pour justifier l’arrêt des anticoagulants chez l’homme mais peut être assez faible pour justifier de les arrêter chez la femme.

COMMENTAIRES

-          Les résultats de cette étude confirment que le risque de récidive à l’arrêt du traitement anticoagulant après 3-7 mois de traitement pour MTEV non provoquée chez les patients  ayant un test d-Dimère négatif (le premier test au cours du traitement et le deuxième 1 mois après arrêt du traitement) est :

  • élevé chez l’homme,
  • intermédiaire voire élevé chez la femme « non-oestrogénique »,
  • faible chez la femme « oestrogénique » au même niveau que le risque d’une thrombose veineuse provoquée (postopératoire).

-          Validité interne : très bonne qualité de l’étude 

  • cohorte prospective,
  • objectif, type de population, d’intervention, de critères d’évaluation bien définis et parfaitement bien détaillés et précisés (dans le texte et en annexe de l’article).
  • suivi téléphonique assuré chez tous les patients à l’exception de 6 (1.5%), suivi et traitement identique dans les différents groupes en dehors du traitement anticoagulant dans les groupes avec test d-Dimère positif et en dehors des différences au plan thérapeutique au départ comme cité plus haut dans le groupe de femmes « oestrogéniques ».
  • évaluation par un comité de jugement des évènements indépendant et en aveugle ne connaissant pas la valeur des d-Dimères de départ ni si le patient est sous traitement anticoagulant ou pas. 
  • Par contre  le médecin en charge du patient était au courant (ainsi que le patient et l’investigateur de l’étude). Ceci peut avoir incité le médecin à être plus attentif et plus vigilant dans la recherche de signes cliniques de récidive et à demander plus facilement les examens complémentaires, ce qui aurait pu en partie contribuer à faire augmenter le taux de récidive ?

-          Importance des résultats au plan statistique :

  • la détermination des 3 groupes de patients a été faite au cours et non pas avant le démarrage de l’étude, et l’effectif nécessaire était donc calculé sur le nombre d’évènements pour l’ensemble de l’échantillon et non pas pour les différents groupes ; ceci explique le manque de précision lié à un faible nombre de sujets dans le groupe de femmes « non-oestrogéniques » (intervalle de confiance large allant jusqu’à  10.2%) et donc la difficulté de pouvoir accepter que ce groupe puisse être considéré à risque faible. Le risque est haut chez l’homme (minimum 6.7%) et assez faible chez la femme « oestrogénique » (maximum 3%).
  • Le taux d’évènements observé sur l’ensemble de la population étudiée voire même dans le groupe de patients avec test d-Dimères négatif était plus important que ce qui était attendu.

 

-          Validité externe

  • étude réalisée chez les sujets dont l’âge est inférieur à  75 ans.
    • Au-delà de 75 ans, la rentabilité serait probablement plus faible compte tenu d’un taux de d-Dimères habituellement plus important chez les sujets âgés. A noter que le test d-Dimère dans cette étude est déjà faiblement rentable puisqu’il n’est positif que chez 3.4% des patients (n= 14) lors du premier test et 17.3% des patients (n= 71) lors du premier et du 2ème test.
    • Par ailleurs, il semble difficile d’extrapoler les résultats de l’étude à une population de sujets plus âgés, car le risque de récidive est potentiellement plus élevé compte tenu de l’âge et des comorbidités associées qui sont autant de facteurs de récidive de MTEV.
  • étude réalisée avec un d-Dimère bien spécifique, il semble difficile de pouvoir l’étendre à d’autres tests d-Dimères qui n’ont pas les mêmes caractéristiques de sensibilité et de spécificité et qui pourraient induire des erreurs diagnostiques.
  • considérant les résultats de cette étude, le test d-Dimère à lui seul ne me semble pas utile chez les patients ayant une MTEV non provoquée pour la décision d’arrêter le traitement anticoagulant car il ne semble pas être un très bon indicateur de faible risque lorsqu’il est négatif compte tenu d’un risque  de récidive inacceptablement élevé chez l’homme ainsi que chez la femme « non-oestrogénique ». Il ne me semble pas non plus utile chez la femme « oestrogénique » considérée à risque faible de récidive à l’issue de cette étude (confirmant ainsi les résultats d’autres études) bien que nous ne connaissions pas à partir de cette étude combien parmi ces patientes ont eu un test d-Dimère positif (pourcentage probablement extrêment faible). Le test d-Dimère devrait avoir plus d’utilité s’il était intégré dans un modèle de risque pronostique comprenant d’autres facteurs en particulier cliniques. Le modèle devrait être validé et faire l’objet d’une étude d’impact  avant de pouvoir l’utiliser en pratique.