DEPISTAGE DU CANCER LORS DE LA MALADIE THROMBO-EMBOLIQUE VEINEUSE NON PROVOQUEE

Titre original : 
Screening for Occult Cancer in Unprovoked Venous Thromboembolism.
Titre en français : 
DEPISTAGE DU CANCER LORS DE LA MALADIE THROMBO-EMBOLIQUE VEINEUSE NON PROVOQUEE
Auteurs : 
Carrier M, Lazo-Langner A, Shivakumar S et al; SOME Investigators.
Revue : 
N Engl J Med. 2015; 373(8):697-704.

Traductions & commentaires : 
Jean-Philippe GALANAUD



Dans cet article Carrier et al présentent les résultats de l’essai SOME (Screening for Occult Malignancy in Patients with Idiopathic Venous Thromboembolism). Il s’agit d’un essai randomisé multicentrique canadien en ouvert dont l’objectif est de déterminer si un dépistage initial systématique du cancer par imagerie, après une maladie veineuse thromboembolique (MTEV) idiopathique, permet de réduire le taux de cancers détectés au cours du suivi.

Les données de la littérature justifiant une telle étude étaient une revue de la littérature de Carrier publiée dans les Annals of Internal Medicine en 2008 qui avait rapporté que le taux de cancer occulte découvert dans l’année suivant une MTEV idiopathique était de 10%, le risque après la première année devenant comparable à celui de la population indemne de MTEV (1, 2). L’objectif ultime du dépistage est d’essayer de réduire la mortalité par cancer par le biais d’une détection des cancers à un stade plus précoce.

 

862 patients majeurs et consentants présentant un premier épisode de MTEV idiopathique (TVP Proximale ou EP), et hors contexte de thrombophilie, ont été randomisés pour bénéficier soit d’un dépistage limité, soit d’un dépistage étendu. Le dépistage limité consistait en un interrogatoire et un examen clinique complet, avec radiographie du thorax et examens biologiques (hémogramme, ionogramme sanguin et créatininémie, bilan hépatique). En cas de non réalisation de ces bilans dans l’année précédente, les hommes de plus de 40 ans bénéficiaient aussi d’un toucher rectal et d’un dosage des PSA, les femmes de plus de 40 ans d’un examen des seins avec mammographie et celles âgées de 18 à 70 ans avec une activité sexuelle actuelle ou passée d’un frottis cervico-vaginal. Les patients alloués au groupe interventionnel bénéficiaient d’un scanner abdomino-pelvien injecté avec gastroscopie et colonoscopie virtuelles.

A un an, le taux de cancer dépisté était de 3.9%, 3.2% dans groupe dépistage simple vs. 4.5% dans le groupe interventionnel. Cette différence était non significative (p = 0.28) et s’explique par la réalisation d’une imagerie systématique dans le groupe interventionnel. En comparaison du dépistage simple, l’imagerie abdominopelvienne permettait de dépister de façon précoce 84% des cancers (14/19) contre 81% (4/14) ce qui n’était pas significativement différent (p = 1.0). Il n’y avait aussi aucune différence significative en termes de délais diagnostiques de cancer (4.0 mois vs. 4.2 mois, p = 0.88), de détection de cancers précoces (i.e. stade T1-2 sans métastase) (0.71% vs. 0.23%, p = 0.37), de décès (1.2% vs. 1.4%, p = 1.0) et de décès par cancer (0.9 vs. 1.4%, p = 0.75). Finalement dans le scénario le plus favorable à l’imagerie complémentaire, il faudrait scanner 91 patients pour détecter un cancer supplémentaire précocement. Outre la faible rentabilité médicale et économique, comme le soulignent les auteurs, ce chiffre est à rapprocher des 450 à 500 scanners nécessaires… pour engendrer une tumeur radio-induite.

 

Les conclusions de ce travail sont qu’il est inutile de réaliser une imagerie abdomino-pelvienne systématique en cas de 1er épisode de MTEV idiopathique en raison de l’absence de bénéfice en termes de proportion de cancers détectés précocement.

Le principal biais de ce travail est que les auteurs se sont limités à une exploration scannographique abdomo-pelvienne, sans exploration thoracique alors même que près de la moitié des patients étaient fumeurs ou anciens fumeurs. Moins d’un tiers des patients, ceux qui présentaient une EP, ont bénéficié d’une telle exploration, sans cancer retrouvé à ce niveau.

L’absence de bénéfice du dépistage s’explique sans doute par la beaucoup plus faible incidence des cancers après une MTEV que précédemment décrit (3.8% vs. 10.0%). Ces chiffres sont comparables à ceux de l’étude OPTIMEV où nous avions retrouvé une taux cumulé de cancer à 3 ans entre 3.0% et 3.9%, quel que soit le type de thrombose du membre (superficielle, TVP distale ou TVP proximale) (3). Du fait de la plus grande facilité à dépister les TVP (écho-Doppler veineux vs. phlébographie) et les EP (angioscanner multibarettes diagnostiquant des embolies de plus en plus distales vs. scintigraphie), le profil des patients a vraisemblablement changé avec un risque de cancer plus faible, diminuant d’autant l’intérêt d’un dépistage systématique.


En conclusion, l’étude SOME permet de confirmer qu’il n’est pas obligatoire de rechercher systématiquement par scanner un cancer après un premier épisode de MTEV systématique, un examen clinique bien conduit associé à des examens simples peut suffire. La réalisation d’un scanner (thoraco) abdomino-pelvien doit être conditionné soit par les résultats des examens de routine et/soit par la perception du patient et du praticien du risque de cancer.

 

Bibliographie

  1. Carrier M, Le Gal G, Wells PS,  et al. Systematic review: the Trousseau syndrome revisited: should we screen extensively for cancer in patients with venous thromboembolism? Ann Intern Med. 2008; 149(5):323-33.
  2. Prandoni P, Casiglia E, Piccioli A,  et al. The risk of cancer in patients with venous thromboembolism does not exceed that expected in the general population after the first 6 months. J Thromb Haemost. 2010; 8(5):1126-7.
  3. Galanaud JP, Arnoult AC, Sevestre MA,  et al; OPTIMEV-SFMV Investigators. Impact of anatomical location of lower limb venous thrombus on the risk of subsequent cancer. Thromb Haemost. 2014; 112(6):1129-36.