EFFETS DE L’ASPIRINE SUR LE RISQUE DE RECIDIVE PRECOCE D’AVC, ET LEUR GRAVITE, APRES AIT OU AVC ISCHEMIQUE. ANALYSE DES ESSAIS RANDOMISES-CONTROLES TENANT COMPTE DU TEMPS.

Titre original : 
Effects of aspirin on risk and severity of early recurrent stroke after transient ischaemic attack and ischaemic stroke: time-course analysis of randomised trials. Commentaire : The benefits of aspirin in early secondary stroke prevention.
Titre en français : 
EFFETS DE L’ASPIRINE SUR LE RISQUE DE RECIDIVE PRECOCE D’AVC, ET LEUR GRAVITE, APRES AIT OU AVC ISCHEMIQUE. ANALYSE DES ESSAIS RANDOMISES-CONTROLES TENANT COMPTE DU TEMPS.
Auteurs : 
Peter M Rothwell, Ale Algra, Zhengming Chen, Hans-Christoph Diener, Bo Norrving, Ziyah Mehta. Commentaire : Hankey GJ.
Revue : 
Lancet 2016; 388: 365–75 (23 juillet 2016). Commentaire: Lancet. 2016 Jul 23; 388: 312-4.

Traductions & commentaires : 
François BECKER



Peter Rothwell est un des grands leaders du neurovasculaire, particulièrement dans la prévention des AVC après AIT ou AVC mineur. Il a le souci que les résultats de la recherche et des essais cliniques impactent la pratique clinique quotidienne et l'éducation du patient. Il nous en fait une brillante démonstration avec cette méta-analyse sur données individuelles des essais ayant testés l'intérêt de l'aspirine dans la prévention de la récidive d'AVC ischémique après AIT ou AVC ischémique.

L'aspirine est considérée comme ayant une efficacité modeste en prévention secondaire après AVC ischémique. Douze RCTs ont montré que l'aspirine réduit le risque de récidive d'AVC de 12% et le risque de décès ou d'invalidité majeure de 5% à court-terme (Sandercock et al. Cochrane Database Syst Rev. 2014), et réduit le risque de récidive de tout AVC de 17% à 3 ans (Antithrombotic Trialists' Collaboration, Lancet 2009). Cependant des études observationnelles ont montré qu'une prise en charge thérapeutique urgente, incluant l'aspirine, d'AITs ou d'AVC ischémiques modérés pouvait réduire le risque de récidive d'AVC jusqu'à 80% (Rothwell et al. Express study, Lancet 2007).

 Le présent article de P.M. Rothwell et al. du Lancet du 23/07/2016 fera date. Les auteurs ont fait une analyse fouillée des données individuelles des patients inclus dans tous les RCTs évaluant l'aspirine en prévention secondaire après un AIT ou un AVC ischémique et ce jusqu'au 31/01/2016. Une attention particulière a été portée à la sévérité du déficit neurologique à l'inclusion, aux associations médicamenteuses (en particulier dipyridamole), au moment de l'introduction de l'aspirine et au timing des différents événements.

1 - Dans les 3 RCTs aspirine vs contrôle dans les AVC ischémiques aigus (n = 40 531 patients) le bénéfice de l'aspirine est effectivement globalement modeste, mais Rothwell et al relèvent une hétérogénéité importante notamment quant à la sévérité de l'AVC à l'inclusion. Clairement, l'efficacité de l'aspirine dans la récidive d'AVC ischémique à court terme (2 sem.) dépend de la sévérité du déficit neurologique à l'inclusion : réduction de moitié en cas de déficit faible (OR 0·51, 95% IC 0·34-0·75), réduction d'un tiers en cas de déficit modéré (OR 0·65, 95% IC  0·44-0·98), pas de bénéfice voire aggravation en cas de déficit majeur (OR 1·10, 95%. IC 0·77-1·58). Ainsi la réduction du risque de récidive d'AVC est de moitié à deux-tiers dans les premiers 2 à 6 jours chez les patients avec AVC mineur ou modéré.

2 - Dans 12 RCTs étudiant l'aspirine en prévention secondaire après AIT ou AVC ischémique (n = 15778 patients), l'aspirine réduit le risque de récidive de tout AVC de moitié à 12 semaines (OR 0·49, 95% IC 0·40-0·60), le risque d'AVC invalidant ou fatal des deux tiers (OR 0·34, 95% IC 0·25-0·46) et le risque d'infarctus du myocarde des deux tiers aussi (OR 0·30, 95% IC 0·17-0·52). Le bénéfice de l'aspirine est constant et homogène dans les différents essais et indépendant des caractéristiques des patients, de l'étiologie de l'AVC ischémique et de la dose d'aspirine. Le bénéfice est plus important dans les 6 premières semaines (et plus encore dans les 2 premières semaines) que dans les 6 semaines suivantes ; à plus long terme le bénéfice diminue pour devenir marginal à long terme.

3 - Dans 7 RCTs étudiant l'aspirine seule versus aspirine + dipyridamole (n = 9 437 patients), l'addition du dipyridamole n'a pas d'effet sur le risque et la sévérité de la récidive d'AVC ischémique dans les 12 semaines après l'AVC index. Toutefois, ultérieurement elle diminue le risque d'AVC invalidant ou fatal.

Ces résultats suggèrent

- que le bénéfice de l'aspirine dans la prévention de la récidive précoce d'AVC et de la prévention de l'infarctus du myocarde après un AIT ou après un AVC ischémique a été sous-estimée ;

- que le bénéfice de l'aspirine sur la prévention de la récidive d'AVC ischémique sur le long terme a été surestimé ;

- que le bénéfice de l'aspirine dans la réduction de la sévérité de la récidive précoce d'AVC ischémique a été ignoré ;

- que l'effet du dipyridamole dans la prévention de la récidive d'AVC à long-terme a été sous-estimé.

Ces résultats ont des implications importantes en pratique clinique :

1 - Le patient suspect d'AIT ou d'AVC ischémique doit être pris en charge dans l'urgence. Ces patients sont à haut risque de récidive précoce d'AVC ischémique et d'autres événements vasculaires et à haut risque de récidive de ces mêmes événements ultérieurement, à moins d'être correctement traités.

2 - L'aspirine est l'antithrombotique de 1ère intention et devrait être administrée immédiatement. Son bénéfice dans la réduction du risque de récidive précoce et dans la sévérité de cette récidive est bien plus important que ce que l'on croyait. Le risque potentiel à administrer de l'aspirine avant la réalisation d'une imagerie cérébrale pour exclure une hémorragie cérébrale est probablement faible car une hémorragie cérébrale se manifeste rarement par un AIT ou un déficit neurologique focal mineur. De plus les quelques études ayant évaluées l'aspirine chez ces patients avec hémorragie cérébrale ne rapportent pas d'effet délétère notoire. Toutefois de nombreuses observations montrent qu'un traitement antiagrégant plaquettaire au moment d'une hémorragie cérébrale peut augmenter la mortalité. Il faut donc rester prudent et bien noter que le bénéfice de l'aspirine montré par Rothwell et al concerne les patients avec AIT ou AVC avec déficit mineur à modéré, et non les AVC avec déficit sévère d'emblée. Il en est de même pour les patients qui pourraient bénéficier d'une thrombolyse bien qu'il ne semble pas y avoir d'effet délétère de la prise préalable d'antiagrégant plaquettaire.

 Ces résultats ont ainsi des implications pour l'éducation grand public quant aux symptômes et signes d'AIT et d'AVC, quant au risque de récidive précoce même si la symptomatologie initiale a disparu, quant à la nécessité d'un avis médical dans les meilleurs délais. Pour ces sujets présentant une symptomatologie évocatrice d'AVC transitoire, disparaissant en quelques minutes à 1 heure ou à peu près, l'auto-administration d'aspirine dans l'attente d'une prise en charge médicale est probablement sans risque et bénéfique quant à la récidive d'AVC et à la diminution du risque cérébral. Pour les sujets pour lesquels la symptomatologie de type AVC persiste au-delà de 1 heure, et qui pourrait possiblement être due à une hémorragie cérébrale, le bénéfice global de l'auto-administration d'aspirine est aussi probablement supérieur au risque, mais une évaluation plus approfondie doit être réalisée avant une recommandation grand public.

Rothwell et al sont en train de faire le même travail basé sur les données individuelles de patients pour des essais utilisant d'autres antiagrégants que l'aspirine, en testant également les facteurs qui pourraient modifier leur effet à court, moyen et long terme chez tout patient et chez des patients spécifiques. Il est clair que cette méta-analyse sur données individuelles va booster la recherche en la matière. La leçon majeure est sans doute qu'il est impératif de tenir compte de la symptomatologie initiale, de la possibilité d'auto-administration, du délai de prise en charge et des objectifs (diminution du risque de récidive précoce vs prévention secondaire). Le but est de préserver du parenchyme cérébral utile : plus les dégâts initiaux sont importants, plus cet objectif est ténu. De plus, les modalités d'action de l'antiagrégant plaquettaire varient sans doute aussi avec le temps, le même produit n'étant peut-être pas à utiliser pour le très court, le moyen et le long terme. 

En attendant, le message est : expliquez à vos patients artériels (symptomatiques ou non), à vos patients âgés, les symptômes et signes évocateurs d'accident neurologique central déficitaire focalisé ; expliquez-leurs pourquoi ils sont importants, même (et surtout) s'ils sont régressifs en moins d'1 heure, et conseillez-leurs d'avoir toujours un sachet d'aspirine 500mg sur eux pour le cas où (même s'ils sont déjà sous antiagrégant plaquettaire en préventif).