Evènements à long terme et facteurs pronostiques de complications dans la maladie de Buerger : une étude multicentrique de 224 patients.
La maladie de Buerger ou thromboangéite oblitérante reste une pathologie non élucidée sur le plan physiopathologique depuis sa découverte par Leo Buerger au début du vingtième siècle.
Il a été mis en évidence une association fréquente au tabac.
La prévalence de la maladie est plus élevée dans les pays d’Asie ou du Moyen orient avec une prévalence qui peut atteindre jusqu’à 66% des artériopathes dans ces régions du monde alors qu’elle ne dépasse pas les 5% en Europe de l’Ouest.
Ainsi cette pathologie est rare en Europe de l’Ouest et notamment en France, et nous ne disposons que de peu de données sur ces patients et l’évolution de la maladie.
Cette étude reprend une cohorte de 224 patients suivis dans des centres experts en France entre 1970 et 2016 et cherche à étudier les évènements survenant chez les patients qui en sont atteints et les facteurs pronostiques de cette pathologie.
METHODES
L’étude a été menée par une équipe française, de manière rétrospective, dans des centres référents pour la Maladie de Buerger en France entre 1970 et 2016.
Le diagnostic de maladie de Buerger était posé suivant les critères de Papa (Moshe Z.Papa, Eur J Vasc Endovasc Surg 1996 ;11, 335-39).
Les patients exclus étaient ceux qui avaient été atteints d’une embolie proximale ou d’une AOMI, ceux chez qui il existait une thrombophilie, une connectivite (sclérodermie, lupus, polyarthrite...), et les patients atteints de diabète.
Les caractéristiques des patients ont été recueillies à leur inclusion dans l’étude.
L’étude portait sur le taux de survie sans événement vasculaire et le taux de survie sans amputation chez ces patients à 5, 10 et 15 ans.
Sur le plan statistique, il a été utilisé un modèle de Cox. Les survies étaient présentées sous forme de courbe de Kaplan-Meier.
Un évènement vasculaire était défini comme une aggravation aigue de la maladie nécessitant une modification thérapeutique.
L’objectif était par ailleurs d’établir les facteurs pronostiques de survie et de survenue d’une amputation en analyse uni et multivariée.
Les facteurs pronostiques pour lesquels p < 0,02 en analyse univariée étaient ensuite analysés en modèle multivarié.
RESULTATS
Les caractéristiques des patients étaient étudiées de manière globale puis différenciées entre la population dite « blanche » et les patients « non blancs ». Cette dénomination a semble-t-il été choisie pour des raisons de soumission à une revue américaine dans laquelle cette classification reste usuelle.
Sont définis comme « non blancs » les patients d’origine Asiatique, du Moyen Orient, d’Afrique sub-saharienne et du Maghreb.
Selon ces critères, les sujets « blancs » représentaient 81,7% des sujets versus 18,3% pour les « non blancs ».
Les patients étaient en majorité des hommes (22,8 % de femmes).
L’âge médian de début des symptômes étaient de 36 ans contre 38,5 ans pour la confirmation du diagnostic.
L’IMC médian était de 23.4.
Tous les patients étaient fumeurs, 22.8% consommaient du cannabis.
Sur le plan clinique, l’atteinte artérielle était plus fréquemment rencontrée aux membres inférieurs (53,1% des patients avaient une atteinte exclusive aux membres inférieurs, 28,5% aux membres supérieurs exclusivement et 9,3% avec une atteinte conjointe aux membres inférieurs et supérieurs).
Les symptômes étaient recueillis de la manière suivante : claudication / ischémie de membre / ulcères et nécroses en lien avec l’ischémie / infection de membre.
Par ailleurs, 41,5% des patients présentaient un phénomène de Raynaud avec une différence statistiquement significative entre les hommes et les femmes (p = 0,019). Vingt-neuf des cinquante-et-une femmes de l’étude en étaient atteintes, contre soixante-quatre des cent soixante-treize hommes.
Il était noté que 18.3 % des patients avait une thrombose veineuse superficielle et que 7.6% présentaient des arthralgies.
Sur le plan biologique : la NFS, la CRP et le taux de créatinémie étaient recueillis sans différence entre les sujets « blancs » et « non blancs » et avec des différences attendues entre les hommes et les femmes (taux d’hémoglobine et taux de créatinine).
Concernant les traitements : 78,9% des patients étaient sous aspirine, 33,8% sous clopidogrel, 51,1% sous statine ; 39,5% prenaient un calcium bloqueur, 6% étaient sous colchicine.
Huit pour cent des patients avaient subi une sympathectomie, 11,1% un pontage, 10,7% une angioplastie percutanée.
Le temps moyen de suivi était de 5,7 ans.
Il a été observé 3 morts d’origine indéterminée.
La survie sans évènement vasculaire à 5 ans était de 41% et de 23% à 10 ans.
En analyse univariée, le fait d’être « non blanc » est associé à un plus haut risque d’évènements vasculaires (HR = 2,03 ; CI 95% 1,23-3,36, p = 0,006).
En analyse multivariée, une infection de membre (HR, 3.29; 95% CI, 1.02–10.6, p = 0.045) et le fait d’être « non blanc » (HR, 2.35; 95% CI, 1.30–4.27, p = 0.005) étaient associés à un plus haut risque d’évènements vasculaires.
Figure 1 : Survie sans évènement vasculaire des patients avec Buerger (n = 164). (Ligne pointillée : IC 95%)
Concernant la survie sans amputation et sans amputation majeure : pour rappel, une amputation majeure est définie comme une amputation emportant l’articulation tibio-tarsienne aux membres inférieurs ou une amputation emportant l’articulation métacarpo-phalangienne aux membres supérieurs.
A 5 ans, 85% des patients étaient indemnes de toute amputation (94% indemnes d’amputation majeure), 74% à 10 ans et 66% à 15 ans (91% indemnes d’amputation majeure).
En analyse univariée, une infection de membre au diagnostic était associée à un surrisque de survenue d’une amputation à 15 ans (HR, 9.46; 95% CI, 2.81–31.8, p < 0.001). En analyse multivariée, une infection de membre au diagnostic était associée à un surrisque d’amputation (HR, 12.1; 95% CI, 3.5–42.1, p < 0.001).
Qu’il s’agisse de la survie sans évènement vasculaire ou de la survie sans amputation, l’année de diagnostic de la maladie n’a pas d’impact sur leur survenue. L’analyse a été effectuée selon que le diagnostic avait été fait avant 2007 ou après 2007. L’année 2007 était la médiane d’année d’étude.
Figure 2 : Survie sans amputation des patients avec Buerger (n = 214). (Ligne pointillée : IC 95%) (A)
Survie sans amputation des patients avec Buerger en fonction des symptômes au diagnostic (B).
Figure 3 : Effets du sevrage tabagique. Survie sans amputation des patients avec Buerger en fonction du statut tabagique. (Ligne pointillée : patients qui ont arrêté leur consommation tabagique ; ligne pleine : patients qui ont poursuivi leur consommation) (A). Statut tabagique lors de l’amputation (B).
Sur le plan tabagique, les patients qui ont arrêté leur consommation à 1 an de suivi sont considérés comme ex-fumeurs. Le taux d’amputation 4 ans après arrêt est significativement diminué chez les ex-fumeurs versus les fumeurs actifs (p = 0,001). L’âge de début du tabagisme et la durée d’exposition n’ont pas d’impact sur le taux d’amputation.
CONCLUSION
Quatre points clés ressortent de cette étude.
Premièrement, les patients « non blancs » ont un surrisque multiplié par deux de survenue d’évènements vasculaires par rapport aux « blancs ». Cette différence pourrait d’origine génétique, socioéconomique ou immunologique ?
Deuxièmement, le taux d’amputation des patients atteints de la maladie de Buerger se situe à 26% à 10 ans et environ un tiers des patients sera amputé à 15 ans. Il s’agit principalement d’amputations « mineures », distales.
Une infection de membre au diagnostic est associée de manière indépendante à la survenue d’un événement vasculaire et à une amputation. Enfin, de manière attendue, l’arrêt du tabagisme est associé à une diminution du risque d’amputation.
DISCUSSION
Cette étude est la plus grande cohorte française de patients atteints de la maladie de Buerger. Les patients ont été recrutés dans des centres référents pour cette maladie.
Il n’existe pas à l’heure actuelle de registre national de ces patients qui permettrait une analyse d’un plus grand nombre de patients et peut être d’étudier de manière encore plus précise les facteurs pronostiques et les points susceptibles d’être améliorés dans leur prise en charge.
Il est intéressant de noter qu’aucune différence en termes de survie ou d’amputation n’est observée en fonction de l’année du diagnostic : avant ou après 2007. Cela peut traduire le peu de progrès effectués en 40 ans, alors que les complications vasculaires restent graves et fréquentes chez ces patients.
Il est aussi intéressant de constater à nouveau à quel point le tabagisme influe sur l’évolution naturelle de la maladie et que le sevrage tabagique reste le point clé dans la prise en charge des patients.