Cet article rapporte les résultats de l’étude Artémis qui est une étude d’implémentation de l’algorithme YEARS chez les patientes enceintes suspectes d’embolie pulmonaire.
Le saviez-vous ? Artémis, dans la mythologie grecque, était la déesse de la chasse mais était également honorée après un accouchement.
INTRODUCTION
L’embolie pulmonaire est une des principales causes de mortalité maternelle en occident. Il existe une importante superposition entre les symptômes évocateurs d’une embolie pulmonaire et les changements physiologiques survenant pendant la grossesse. De ce fait, l’embolie pulmonaire est fréquemment suspectée dans le contexte de la grossesse.
Malheureusement, les techniques usuelles de diagnostic ont une efficience réduite pendant la grossesse. En plus d’avoir un faible niveau de validation dans ce contexte, le D-dimère augmente avec le terme, réduisant sa capacité à exclure l’hypothèse d’une embolie pulmonaire. Son utilisation au cours de la grossesse était encore, il y a peu, controversée. Le scanner thoracique et la scintigraphie de ventilation-perfusion représentent une exposition aux radiations et au produit de contraste avec un risque théorique pour le foetus et la future maman. Comme pour le D-dimère, la probabilité d’obtenir un examen non-conclusif est augmentée au cours de la grossesse.
Les études ayant validé les stratégies diagnostiques de l’embolie pulmonaire dans le contexte de la grossesse sont rares. Récemment, Righini et coll. ont validé une stratégie diagnostique reposant sur (i) l’évaluation de la probabilité clinique par le modèle de Genève, (ii) un dosage de D-dimère chez les patients ayant une probabilité clinique non-forte, (iii) une échographie de compression veineuse proximale pour toutes les patientes ayant une probabilité clinique forte ou de D-dimère positif (seuil fixé à 500 μg/L) complété de (iv) un angioscanner thoracique si une thrombose veineuse proximale n’était pas détectée en échographie. Cette stratégie a été montrée efficace pour exclure l’hypothèse d’une embolie pulmonaire, en ne manquant aucun diagnostic de maladie thromboembolique veineuse.
Cependant, cette stratégie avait l’inconvénient de nécessiter une échographie de compression veineuse chez 88% des patientes, avec une rentabilité diagnostique faible, tout en évitant l’exposition aux examens irradiants chez 16 % des patientes.
L’algorithme YEARS a récemment montré, en dehors du contexte de la grossesse, son efficience quant à la détection des embolies pulmonaires avec un recours réduit aux examens irradiants en comparaison à la stratégie de référence. Les auteurs ont donc exploré un algorithme YEARS adapté à la grossesse, qui pourrait réduire le recours aux investigations irradiantes chez les femmes enceintes suspectes d’embolie pulmonaire.
METHODES
Il s’agit d’une étude diagnostique d’implémentation, ayant inclus les femmes enceintes suspectes d’embolie pulmonaire. La stratégie YEARS modifiée reposait sur (i) une échographie de compression veineuse proximale restreinte aux patientes présentant des symptômes de thrombose veineuse profonde, (ii) une évaluation de la probabilité clinique par les items YEARS, (iii) un dosage de D-dimère chez toutes les patientes avec un seuil adapté à la probabilité clinique : 500μg/L si un critère YEARS ou plus était présent ou 1000μg/L si aucun des critères YEARS n’était trouvé et (iv) un angioscanner thoracique si le D-dimère était positif en l’absence de diagnostic de thrombose veineuse proximale à l’échographie. Les critères YEARS sont (i) la présence de signes cliniques de thrombose veineuse profonde, (ii) une hémoptysie et (iii) l’embolie pulmonaire est le diagnostic le plus probable. Le critère de jugement principal était le taux de patientes ayant présenté un évènement thromboembolique symptomatique entre l’inclusion et le suivi à 45 jours. Il n’y avait pas de groupe comparateur. L’effectif était établi pour montrer un taux de faux négatifs de la stratégie globale inférieur à 2.7 % à 45 jours avec une confiance de 95 %.
RESULTATS
Sur les 18 centres Néerlandais et Français, 498 patientes ont été incluses dans l’étude dont 20 (4.0%) ont présenté un évènement thromboembolique veineux à 45 jours. Au cours du suivi, une patiente va présenter une thrombose veineuse proximale inattendue, donnant un taux de faux négatifs de la stratégie de 0.21 % avec un intervalle de confiance à 95 % allant de 0.04 à 1.2 %. En se basant sur cette stratégie, le recours aux examens irradiants a été épargné chez 39 % des patientes. Le protocole n’a pas été respecté pour 36 patientes. Les analyses en intention de prise en charge et per-protocole ont montré des résultats convergents.
Quarante-sept patientes avaient des signes cliniques de thrombose veineuse et parmi les 43 patientes ayant eu une échographie de compression proximale, 3 (7 %) ont eu un diagnostic de thrombose proximale.
DISCUSSION ET CONCLUSION
L’algorithme YEARS adapté à la grossesse est considéré fiable pour exclure l’hypothèse d’une embolie pulmonaire chez les femmes enceintes. L’algorithme a permis d’éviter une imagerie irradiante de 65 % au premier trimestre, 46 % au second et 32 % au troisième trimestre.
COMMENTAIRE
En permettant l’utilisation d’un seuil plus élevé de D-dimère chez près de la moitié des femmes suspectes d’embolie pulmonaire, l’algorithme YEARS présente un avantage notable étant donné l’augmentation progressive des D-dimères au cours de la gestation. La crainte des examens irradiants au cours de la grossesse ne vient pas tant du risque lié à l’irradiation que du risque de ne pas mener la prise en charge à terme et de se retrouver dans des situations d’incertitudes dangereuses pour la mère et son foetus. Roy et coll. ont montré que les risques de survenue de thrombose inattendue dans les 3 mois suivant l’application d’une stratégie diagnostique incomplète ou inappropriée étaient nettement augmentés. Cette situation était particulièrement rencontrée chez les femmes enceintes, probablement liée aux émotions et représentations qui entourent la procréation. En l’absence de stratégie de référence validée chez les femmes enceintes au moment de l’étude, il n’a pas été employé de comparateur. Righini et coll. ont récemment établi que la stratégie basée sur le score de Genève et un seuil fixe de D-dimère était également fiable. En utilisant cette stratégie, le recours aux examens d’imagerie était de 88 % en comparaison aux 61 % de l’étude ARTEMIS. Cependant, la proportion de patientes dont le diagnostic d’embolie pulmonaire était le plus probable, ainsi que la prévalence de l’embolie pulmonaire, étaient plus importante dans l’étude menée par Righini et coll. L’application rétrospective de l’algorithme YEARS sur la population de Righini et coll. aurait nécessité un recours au magerie irradiante pour 79% des patientes, soit une réduction absolue de 9% en comparaison à la stratégie basée sur le score de Genève. La prévalence des signes cliniques de thrombose veineuse et de l’hémoptysie étaient faible. L’algorithme YEARS repose donc majoritairement sur une évaluation implicite de la probabilité clinique (L’embolie pulmonaire est-elle le diagnostic le plus probable ?). Au-delà de la reproductibilité de ce critère qui est discutée, ici réside une importante limite à l’étude ARTEMIS. Nous sommes dans l’ignorance du moment où cet élément de probabilité clinique a été évalué. Ce critère a donc pu être évalué alors que les résultats du D-dimère ou même le compte rendu de l’angioscanner étaient disponibles, ce qui aurait pu substantiellement favoriser son évaluation. Les auteurs rapportent que cette évaluation de la probabilité clinique, sachant les résultats des examens complémentaires, était marginale. Mais en l’absence d’horodatage, il est en réalité impossible de savoir la part d’évaluations soumise à ce biais. La stratégie proposée par Righini et coll. a l’avantage de se baser sur le score de Genève, peu ou pas influencé par l’intuition du clinicien, limitant ce biais.
RÉFÉRENCES
Roy PM, Meyer G, Vielle B, Le Gall C, Verschuren F, Carpentier F, Leveau P, Furber A; EMDEPU Study Group. Appropriateness of diagnostic management and outcomes of suspected pulmonary embolism. Ann Intern
Med. 2006 Feb 7;144(3):157-64.
Righini M, Robert-Ebadi H, Elias A, Sanchez O, Le Moigne E, Schmidt J, Le Gall C, Cornuz J, Aujesky D, Roy PM, Chauleur C, Rutschmann OT, Poletti PA, Le Gal G; CT-PE-Pregnancy Group. Diagnosis of Pulmonary
Embolism During Pregnancy: A Multicenter Prospective Management Outcome Study. Ann Intern Med. 2018 Dec 4;169(11):766-773.
Langlois E, Cusson-Dufour C, Moumneh T, Elias A, Meyer G, Lacut K, Schmidt J, Le Gall C, Chauleur C, Glauser F, Robert-Ebadi H, Righini M, Le Gal G. Could the YEARS algorithm be used to exclude PE during pregnancy? Data from the CT-PE-pregnancy study. J Thromb Haemost. 2019 May 20.