Le diagnostic moléculaire dans le syndrome d’Ehlers-Danlos vasculaire est prédictif du type d’atteinte artérielle et du devenir des patients
RAPPELS
Le syndrome d’Ehlers- Danlos vasculaire (SEDV) est une maladie génétique rare transmise de manière autosomique dominante pouvant conduire à des dissections et ruptures artérielles spontanées (1) ainsi qu’à des complications digestives (perforation ou rupture coliques) ou obstétricales (rupture utérine). Sa prise en charge thérapeutique est difficile, que ce soit à la phase aiguë ou en préventif, du fait de la fragilité des vaisseaux artériels. L’espérance de vie des patients porteurs d’un SEDV est réduite (48 ans dans l’étude de Pepin et coll.(2).
Le diagnostic est basé sur des éléments anamnestiques, cliniques et les données d’imagerie médicale (critères de Villefranche-sur-Mer) (Tableau). Il est confirmé par l’identification d’une mutation du gène COL31A, habituellement à partir d’un prélèvement sanguin. Une mutation n’est retrouvée cependant que dans 60% des cas, 50% de ces mutations étant des mutations de novo. Les deux tiers des mutations sont de type non-sens (substitution de glycine), se traduisant alors par des anomalies qualitatives sévères du collagène III et une production minimale de collagène normal (10-15%, formes MIN). Les autres formes sont de type mutation ponctuelle non-sens et aboutissent à un défaut quantitatif prédominant de collagène III qui est qualitativement normal (haplo insuffisance, forme HI). A l’intérieur même de ces deux types, il existe une grande variété de mutations.
Tableau
BUT DE L’ETUDE
Le but des auteurs était de décrire les atteintes vasculaires au cours du SEDV et d’évaluer leur pratique chirurgicale, à partir d’une vaste cohorte nord-américaine, et de corréler la présentation clinique et le pronostic des patients avec le type de mutation (formes MIN et HI).
METHODOLOGIE
Les auteurs ont étudié une cohorte de patients (Houston, Baltimore et Seattle, USA) avec un diagnostic de SEDV confirmé par l’analyse moléculaire. Les données ont été collectées de manière rétrospective puis poursuivies de manière prospective. Les paramètres recueillis étaient anamnestiques (personnelles et familiales) : éléments ayant conduit au diagnostic et critères cliniques selon la classification de Villefranche sur Mer. Les événements pathologiques artériels étaient définis comme anévrysmes, dissections et ruptures. Les données évolutives recueillies étaient l’âge au diagnostic, la présentation clinique, les données d’imagerie diagnostique et de suivi, la prise en charge thérapeutique, et la morbi-mortalité. Les données moléculaires étaient l’identification du type de mutation et l’analyse de la production de procollagène III par les fibroblastes dermiques, permettant l’analyse de deux groupes de patients (MIN et HI). Pour rappel, les formes MIN conduisent à une production minime de collagène normal (10-15%) et les formes HI à une production d’environ 50% de procollagène de type III normal.
RESULTATS
68 patients étaient étudiés, dont 44% d’hommes. L’âge moyen au diagnostic était de 33 ans. Des biopsies de peau ont été réalisées chez 36 % des patients.
Antécédents familiaux : 65 % des patients avaient présenté des antécédents familiaux (avec diagnostic moléculaire confirmé dans 22% des cas).
Type de mutations : 87% des patients étaient porteurs d’une mutation MIN, soit la majorité de la cohorte (59 patients) et 9 d’une mutation HI.
Présentation clinique : l’âge au premier événement clinique artériel était plus élevé dans le groupe HI que dans le groupe MIN (42 vs 33 ans). Les signes cutanés d’appel, de type acrogérie, étaient plus fréquents dans le groupe MIN que dans le groupe HI (peau fine et translucide 62% vs 12%, facies caractéristique 65% vs 33%). Le diagnostic de la maladie était dans le groupe HI essentiellement réalisé devant une complication vasculaire (78% des cas) alors que les circonstances de découverte dans le groupe MIN étaient plus diverses (incluant perforation colique, rupture splénique).
Répartition des atteintes artérielles
L’atteinte artérielle aortique était plus fréquente dans le groupe MIN que HI (56% vs 7%). Il s’agissait essentiellement d’atteinte aortique abdominale à type d’anévrysme fréquemment étendu aux artères iliaques communes. Le traitement en était majoritairement chirurgical. L’atteinte thoracique était traitée par endoprothèse ou chirurgie.
Les atteintes brachio-céphaliques (22%) étaient représentées par des dissections, ectasies, sténoses, carotidiennes ou vertébrales, ectasies et anévrysmes sous claviers et vertébraux, fistule carotido-caverneuse. Le traitement était le plus souvent conservateur au niveau carotidien, hormis pour la fistule carotido-caverneuse traitée par voie endovasculaire. L’atteinte de plusieurs axes ne se voyait que dans le groupe MIN. Les atteintes iliaques étaient retrouvées chez 35% des patients du groupe MIN vs 22% du groupe HI. Les petits anévrysmes (< 25 mm) et dissections étaient traités de manière conservatrice. Deux patients sont morts d’une rupture présumée d’anévrysme (dont un mesuré à 14 mm).
Les atteintes viscérales étaient plus fréquentes dans le groupe MIN, sous la forme d’atteinte multi-viscérale (40 % des patients) ou sous forme d’anévrysme ou de dissection. Le traitement était conservateur ou par embolisation. Dans le groupe HI, les atteintes viscérales étaient mono-artérielles. Il s’agissait essentiellement d’anévrysmes surveillés (seuil d’intervention à 2 cm au niveau hépatique, 1,7 cm au niveau splénique). Au-delà de ce seuil, des embolisations par coils étaient réalisées. Les cas de rupture ont conduit à deux splénectomies, à la ligature d’une artère mésentérique supérieure et à deux traitements endovasculaires au niveau de la mésentérique supérieure. L’atteinte rénale était retrouvée chez 27,6% des sujets du groupe MIN vs 11,1% dans le groupe HI, à type de petits anévrysmes ou de dissections chez 14 patients (dont 8 compliquées d’un infarctus rénal). Deux dissections ont amené à une néphrectomie et à un décès peropératoire.
Effet du diagnostic préopératoire de syndrome d’Ehlers- Danlos sur les suites opératoires :
cinquante interventions chirurgicales ont été nécessaires chez 35 patients (62%) dont 62% en urgence dans le groupe MIN et 46% dans le groupe HI. Les complications postopératoires ont été similaires entre le groupe MIN (35%) et HI (31%). Le diagnostic de SEDV était connu chez 42% des patients avant l’intervention chirurgicale et les interventions requises faisaient appel à un mélange d’interventions ouvertes (48%) et endovasculaires (52%). Un des points importants est que les patients sans diagnostic de SEDV connu étaient plus souvent opérés dans le cadre de l’urgence (81% vs 41%) et étaient plus fréquemment pris en charge de manière chirurgicale (81% vs 48%). Le taux de complications était plus élevé chez ces individus. Toutes les morts per-opératoires sont survenues chez des patients de type MIN se présentant en urgence alors que le diagnostic de SEDV n’était pas connu.
Mortalité
Le suivi moyen était de 8 ans après le diagnostic. Douze décès sont survenus, tous dans le groupe MIN, à un âge moyen de 31 ans. Trois patients sont morts durant l’intervention (2 anévrysmes iliaques rompus et un anévrysme rénal). Trois patients ont présenté une mort subite. Les autres causes de mortalité étaient un AVC après embolisation d’une fistule carotido-caverneuse, un infarctus mésentérique, une complication d’un accès veineux profond, un hémothorax et rupture iliaque présumée.
DISCUSSION
Cette série rétrospective est intéressante par le détail des cas des patients, avec localisation des atteintes, traitements et devenir. Les auteurs insistent sur le fait que la connaissance pré-opératoire du diagnostic permet une préparation soigneuse en amont des gestes réalisés. Ainsi, en pré-opératoire : abords vasculaires échoguidés, contrôle strict de la pression artérielle et en per-opératoire : techniques de clampage et de suture particulières. Les auteurs montrent que la chirurgie aortique ouverte peut être réalisée de même que le stenting des artères de moyen calibre. Pour les techniques endovasculaires, les auteurs préconisent un abord chirurgical pour les introducteurs et un renforcement des sutures. En post opératoire, les auteurs insistent sur le contrôle de la pression artérielle en maintenant dans les 24 à 48 premières heures une pression artérielle systolique < 90 mmHg.
Les auteurs discutent également la fréquence des contrôles nécessaires, sans pouvoir y répondre formellement. L’évolution initiale doit comporter une évaluation de tous les lits artériels par écho-doppler et angio-IRM ou angio-scanner. Le jeune âge des patients fait discuter le rythme de réalisation des scanners en raison de l’irradiation cumulée.
Ils plaident pour un diagnostic précoce de cette pathologie devant la mise en évidence d’anévrysmes artériels périphériques ou de dissections chez des patients jeunes. Les signes cliniques caractéristiques (visage de madone, contusions inexpliquées, peau fine ou translucide) doivent être recherchés de même que les antécédents familiaux de mort subite ou de complications artérielles chez des apparentés jeunes. Une suspicion clinique forte doit conduire à un avis de génétique médicale pour conseil et diagnostic sur l’identification des anomalies vasculaires. Les plus grandes précautions sont à prendre avant d’envisager l’annonce du diagnostic. Un diagnostic génétique posé d’EDV permet le suivi des patients, la détection précoce des anomalies vasculaires et la discussion de leur prise en charge par une équipe multidisciplinaire. Le diagnostic peut également permettre un dépistage chez les apparentés de premier degré. Cette étude montre une variation phénotypique et pronostique en fonction du type de mutation du gène COL3A1, ce qui est retrouvé dans d’autres études, ainsi que le mauvais pronostic lié au sexe masculin (3).
Le traitement médical n’est pas vraiment détaillé, mais il s’agit d’une cohorte chirurgicale. On rappelle qu’une étude française a montré que l’administration d’un béta-bloquant, le céliprolol, est efficace pour prévenir les complications vasculaires majeures (4). Les efforts statiques importants doivent être évités chez ces patients.
CONCLUSION
Un certain fatalisme entoure encore la prise en charge des patients présentant un SEDV : faible espérance de vie, complications des gestes thérapeutiques, complications gravissimes et imprévisibles. Le travail de cette équipe rappelle que des solutions de prise en charge existent et que la prise en charge par une équipe multidisciplinaire entrainée peut être efficace. Le diagnostic précoce et l’identification moléculaire de la mutation du gène COL3A1 sont des préambules nécessaires. En France, le centre de référence est le service de pathologies vasculaires de l’Hôpital Européen Georges Pompidou. Il est nécessaire que la suspicion diagnostique de SEDV conduise à adresser les patients à un des centres de compétence sur les maladies vasculaires rares (liste disponible sur Orphanet).
Références
1. Perdu J, Boutouyrie P, Lahlou-Laforet K, Khau Van Kien P, Denarie N, Mousseaux E, et al. [Vascular Ehlers-Danlos syndrome]. Presse medicale. 2006;35(12 Pt 2):1864-75.
2. Pepin M, Schwarze U, Superti-Furga A, Byers PH. Clinical and genetic features of Ehlers-Danlos syndrome type IV, the vascular type. The New England journal of medicine. 2000;342(10):673-80.
3. Pepin MG, Schwarze U, Rice KM, Liu M, Leistritz D, Byers PH. Survival is affected by mutation type and molecular mechanism in vascular Ehlers-Danlos syndrome (EDS type IV). Genetics in medicine : official journal of the American College of Medical Genetics. 2014.
4. Ong KT, Perdu J, De Backer J, Bozec E, Collignon P, Emmerich J, et al. Effect of celiprolol on prevention of cardiovascular events in vascular Ehlers-Danlos syndrome: a prospective randomised, open, blinded-endpoints trial. Lancet. 2010;376(9751):1476-84.