Les antécédents de complications obstétricales améliorent-ils le score de prédiction des évènements cardio-vasculaires ?
Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez les femmes mais souvent sousdiagnostiquées. Les scores de prédiction d’évènements cardiovasculaires actuellement utilisés ne semblent pas être adaptés pour les femmes âgées de moins de 70 ans. La grossesse est une période qui pourrait être prédictive d’évènements cardio-vasculaires chez une femme. En ayant un terrain étiologique similaire, les complications obstétricales (pré-éclampsie, hypertension gravidique, prématurité ou petite taille pour l’âge gestationnel) pourraient prédire la survenue d’évènements cardiovasculaires ultérieurs. Cette étude norvégienne a été réalisée à partir des données d’une étude portant sur l’état de santé de la population (HUNT), d’un registre de naissance (MBRN), des dossiers médicaux et d’un registre de décès.
Cette étude avait pour objectif d’évaluer si le score de prédiction des évènements cardio-vasculaires était amélioré en ajoutant les antécédents de complications obstétricales.
METHODES
Les données médicales ont été recueillies à partir d’une étude de cohorte prospective appelée « HUNT », étudiant l’état de santé de la population norvégienne à partir d’un examen clinique et de questionnaires. Les mesures ont été réalisées 3 fois : « HUNT 1 » entre 1984 et 1986, « HUNT 2 » entre 1995 et 1997 et « HUNT 3 » entre 2006 et 2008. Seules les données de HUNT 2 et 3 ont été utilisées car on disposait d’un
échantillon sanguin des participantes, à partir duquel le taux de HDL cholestérol a pu être analysé. Au total, 27862 femmes ayant été enceintes et figurant sur le registre de naissance ont été identifiées. Parmi elles, les femmes âgées de moins de 40 ans au moment de l’étude HUNT ont été exclues car le score de prédiction de référence (NORRISK2) inclus uniquement les femmes âgées de plus de 40 ans. Les femmes ayant présenté un évènement cardiovasculaire avant l’inclusion dans l’étude HUNT ont été également exclues de l’étude. Finalement, 18231 femmes ont été incluses dans l’étude.
Les facteurs de risque cardio-vasculaire recueillis étaient les suivants : valeur de pression artérielle systolique, taux de cholestérol HDL, antécédent de tabagisme actif, traitement antihypertenseur en cours, antécédent familial d’infarctus du myocarde avant l’âge de 60 ans. Les complications obstétricales ont été identifiées à partir du registre de naissance. Les évènements cardio-vasculaires étaient définis ainsi : infarctus du myocarde non fatal, décès d’origine cardiaque, accident vasculaire cérébral fatal ou non. Les informations concernant la survenue des évènements cardio-vasculaires ont été recueillies à partir des dossiers médicaux de deux centres hospitaliers de la région. Les décès d’origine cardio-vasculaire ont été identifiés à partir du registre du décès.
L’analyse statistique a été conduite sur la même méthode que NORRISK 2. La survenue d’évènements cardiovasculaires à 10 ans a été estimée en utilisant le modèle de Fine and Gray, à savoir un modèle de risque compétitif entre le décès de cause cardiovasculaire et le décès d’autres causes. Les données manquantes concernant les antécédents de complications de grossesse ont été imputées en utilisant des imputations multiples.
Les analyses bi-variées entre risque cardiovasculaire établi et antécédents de complications de grossesse ont été menées avec un test de chi-2 ou un test de Student. L’ajustement du nouveau modèle incluant les antécédents de complications de grossesse a été évalué en utilisation le test de Wald. L’étalonnage du modèle, à savoir le rapport entre le risque cardio-vasculaire observé et le risque prédit par le modèle a été évalué en utilisation le test de Greenwood-Nam-D’Agostino. La discrimination du modèle à savoir la capacité à distinguer les évènements cardio-vasculaires et les autres cas a été évaluée en comparant la différence de C index, un équivalent de courbe ROC adaptée à la survie.
RESULTATS
Parmi 18231 femmes, 965 participantes (5%) avaient eu un évènement cardiovasculaire pendant le suivi, et 295 participantes (2%) étaient décédées suite à une autre pathologie. Les évènements non mortels étaient la majorité des évènements cardiovasculaires soit 97% avec 5% de mortalité survenant dans les 30 jours qui suivaient l’évènement. Trente pour cent des participantes à l’étude avaient eu au moins une complication obstétricale selon le registre de naissance. A âge égal, les femmes ayant eu une complication obstétricale avaient une pression systolique plus élevée (p<0,001), fumaient davantage (p< 0,001), prenaient plus de médicaments anti-hypertenseur (p<0,001), avaient un taux de HDL bas (p=0,006) et avaient des antécédents de prématurité dans la famille par rapport aux femmes n’ayant pas de complication de grossesse (p<0,001).
Après ajustement sur les facteurs de risque cardiovasculaire, seule la pré-éclampsie était associée à l’augmentation des évènements cardio-vasculaires (HR 1,60, 95% CI 1,16-2,17). Le test d’étalonnage a montré que le modèle était bien calibré entre les évènements prédits et observés. En incluant les antécédents de complications obstétricales dans le modèle, il y a eu une augmentation faible mais significative de C-index (0,004 95% CI 0,002-0,006) Parmi les 965 femmes ayant un évènement cardiovasculaire pendant le suivi, 38 ont été reclassés de manière correcte dans la catégorie à haut risque après inclusion des antécédents obstétricaux alors que 17 ont été classés de manière erronée dans la catégorie à bas risque. Parmi 25579 cas sans évènement cardio vasculaire, 274 étaient reclassés de manière erronée dans la catégorie à haut risque alors que 375 ont été reclassés correctement dans la catégorie à bas risque. Au total, il y a eu une faible amélioration en termes de reclassification de classe (0,02 ; 95% CI 0,002-0,05). En incluant l’antécédent de pré-éclampsie, il existait une légère amélioration de reclassification de catégorie de risque cardio vasculaire.
CONCLUSION
Dans cette étude de cohorte prospective réalisée chez les femmes norvégiennes, les complications obstétricales ont contribué à une discrète amélioration en termes de prédiction des évènements cardio-vasculaires à 10 ans, suggérant ainsi d’établir un modèle les prenant en compte en tant que facteur de risque cardio-vasculaire. Le pourcentage élevé des femmes qui avaient déjà eu des complications de grossesse pourrait être expliqué par un taux de fécondité relativement élevé en Norvège par rapport à d’autres pays développés.
COMMENTAIRE
L’étude a été réalisée dans une seule région de Norvège, donc pose le problème de sa validation externe. Les données manquantes sont nombreuses, notamment sur le diabète gestationnel, qui était probablement sous diagnostiqué avant 1988. Par ailleurs, le diabète n’a pas été pris en compte en tant que facteur de risque cardio-vasculaire.
Le pourcentage élevé des femmes qui avaient déjà eu des complications de grossesse pourrait être expliqué par un taux de fécondité relativement élevé en Norvège par rapport à d’autres pays développés.