Titre original : 
Statin Eligibility for Primary Prevention of Cardiovascular Disease According to 2021 European Prevention Guidelines Compared With Other International Guidelines.
Titre en français : 
COMPARAISON DE L’ELIGIBILITE AUX STATINES DES PATIENTS EN PREVENTION PRIMAIRE ENTRE SCORE2 (ESC), PCE (AHA), QRISK3 (UK-NICE) et SCORE (ESC).
Auteurs : 
Mortensen MB, Tybjærg-Hansen A, Nordestgaard BG.
Revue : 
JAMA Cardiol. 2022 Aug 1;7(8):836-843.

Traductions & commentaires : 
Christophe BONNIN (christophe.bonnin06@orange.fr)



Les recommandations de la Société Européenne de Cardiologie et les autres recommandations internationales sur la prévention primaire cardiovasculaire suivent le principe d’adapter l’intensité du traitement préventif au risque absolu des patients, en fonction de seuils.

La pierre angulaire de cette stratégie est le score de risque utilisé pour l’estimation du risque (SCORE puis SCORE2 en Europe, PCE (pooled cohort equations) aux USA, QRISK au Royaume-Uni). SCORE2 proposé par les recommandations européennes en 2021 permet désormais d’estimer le risque d’événements fatals et non fatals, alors que la première version de SCORE n’évaluait que les évènements fatals.

 

METHODOLOGIE

 

Cette étude comparait les performances de ces différents scores dans une cohorte danoise en population générale (Copenhagen General Population Study). Entre 2003 et 2015, elle a inclus 66909 personnes âgées de 40 à 69 ans en apparente bonne santé (sans maladie cardiovasculaire, diabète, maladie rénale chronique [DFG < 60 ml/mn/1.73m²], et ne prenant de statine). Pour SCORE (2019) et SCORE2, ce sont les versions « pays à faible risque » qui ont été utilisées. Pour le score britannique QRISK, la version la plus récente a été utilisée (QRISK3).

Pour rappel, SCORE prédit les IDM et AVC fatals ; SCORE2 prédit les IDM et AVC fatals et non fatals ; PCE prédit les IDM non fatals, les coronaropathies fatales et les AVC ; QRISK3 prédit les IDM non fatals, les coronaropathies fatales, l’angor, les AVC et AIT.

 

Ce sont les recommandations de grade I sur la prescription de statines en prévention primaire qui ont été comparées, concernant

- pour SCORE, les patients avec risque < 5% et LDL > 1.9 g/L, ceux avec risque ≥ 5% et LDL > 1g/L, et ceux avec risque ≥ 10% et LDL > 0.70 g/L ;

- pour SCORE2, les patients de 40 à 49 ans avec un risque > 7.5% et les patients de 50 à 69 ans avec un risque > 10% ;

- pour PCE, les patients avec un risque > 7.5% ;

- pour QRISK3, les patients avec un risque ≥ 10%.

 

Les recommandations de grade II ont quant à elles été comparées dans les analyses de sensibilité, et concernaient

- pour SCORE, les patients avec un risque entre 1 et 5% et LDL > 1 g/L et ceux avec un risque entre 5 et 10% et LDL > 0.70 g/L ;

- pour SCORE2, les patients de 40 à 49 ans avec un risque > 2.5% ou les patients de 50 à 69 ans avec un risque > 5%, et avec facteurs de risque modifiables. Le score calcique coronaire, l’échographie carotidienne ou les scores de risque polygéniques n’ont pas été pris en compte en raison d’un manque de données.

- pour PCE, les patients avec un risque entre 5 et 7.5%, en présence de facteurs de risque modifiables.

 

ANALYSE STATISTIQUE

 

Les caractéristiques de base sont présentées en pourcentage pour les variables catégorielles et en médiane avec écart interquartile pour les variables continues. Le risque d’événements cardiovasculaires à 10 ans était calculé pour tous les participants pour chaque score de risque.

La calibration des modèles était établie par le ratio évènements prédits / évènements observés (P/O) et par le test de Hosmer-Lemeshow. La calibration a porté sur les 54365 participants suivis au moins 10 ans.

Les modèles de risque étaient comparés en terme de discrimination à l’aide de l’index C de Harrell, en prenant SCORE2 comme référence.

La performance clinique des différentes recommandations était estimée par la proportion de patients éligibles au traitement par statine.

Était également estimée la sensibilité-spécificité des différentes recommandations pour dépister les patients éligibles aux statines et qui développeront un évènement cardiovasculaire selon SCORE2.

Enfin, la performance clinique était évaluée en terme de pourcentage de patients éligibles selon différents seuils de risque cardiovasculaire de SCORE2.

 

RESULTATS

 

La distribution des âges de la cohorte est similaire à celle de la population générale danoise et à celle des autres pays à faible risque.

Au terme d’un suivi moyen de 9.2 ans, 2692 évènements cardiovasculaires ont été enregistrés selon SCORE2, 2782 selon PCE, 4277 selon QRISK3 et 180 selon SCORE.

 

Risque estimé à 10 ans

Il existait un haut degré de corrélation entre les différents modèles pour le risque estimé à 10 ans (coefficients de Spearman 0.88 à 0.99). Le risque estimé était plus élevé avec PCE er QRISK3 qu’avec SCORE2.

 

Calibration et discrimination

La ratio évènements prédits / évènements observés était de 0.8 pour SCORE2, 1.3 pour PCE et QRISK3 et 5.8 pour SCORE. La sous-estimation du risque par SCORE2 était plus prononcée chez les patients à risque le plus élevé, alors que SCORE2 était bien calibré pour les 7 déciles inférieurs. De même, PCE et QRISK3 était bien calibrés pour les niveaux de risque les moins élevés. A l’inverse, SCORE surestimait le risque à tous les niveaux de risque.

Finalement, SCORE2 était le modèle de risque le mieux calibré tout en présentant des performances discriminantes similaires à celles des autres modèles (Tableau)

 

 

Performances cliniques des recommandations

Pour les recommandations de grade I, 2862 patients (4%) étaient éligibles à un traitement par statine selon SCORE2, 23029 (34%) selon PCE, 17659 (26%) selon QRISK3 et 13496 (20%) selon SCORE.

La sensibilité pour détecter les patients éligibles et qui feront un ECV défini selon SCORE2 était respectivement de 14%, 60%, 51% et 36%.

SCORE2 était le score le moins sensible pour l’éligibilité au traitement par statine, quels que soient l’âge ou le sexe. Par exemple, seulement 11 femmes âgées de 40 à 49 ans avaient un score > 7.5% et 312 femmes (1%) âgées de 50 à 69 ans avaient un score > 10 %. Pour les hommes, seulement 215 hommes (2%) âgés de 40 à 49 ans avaient un score > 7.5% et 2327 (13%) âgés de 50 à 69 ans avaient un score > 10%.

Par rapport à SCORE, seulement 282 patients (0.4%) deviennent éligibles au traitement par statine avec SCORE2, et ce sont principalement des hommes (84%), jeunes (âge médian 49 ans) et fumeurs (83%). A l’inverse, 10196 patients (16%) ne le sont plus, notamment des femmes, non fumeuses à plus faible risque cardiovasculaire.

Ces différences de performance clinique entre les scores étaient similaires concernant les recommandations de grade II.

 

Performances cliniques de SCORE2 en fonction des seuils de risque cardiovasculaire éligibles au traitement (tableau 2)

Le tableau 2 montre que la réduction des seuils d’éligibilité au traitement dans SCORE2, pour l’ensemble d’un groupe d’âge ou en fonction de l’âge et du sexe, permettrait d’augmenter la sensibilité pour détecter et traiter les patients qui feront un ECV, avec une petite baisse de spécificité.

Par exemple, dans la tranche d’âge 40-49 ans, réduire le seuil de 7.5% à 4% pour les hommes et à 2% pour les femmes permettrait d’augmenter la sensibilité de 10 à 42% pour les hommes et de 1 à 38% pour les femmes (réduction de spécificité respectives de 97 à 79% pour les hommes et 100 à 84% pour les femmes).

Pour obtenir des performances cliniques similaires aux autres scores, les seuils d’éligibilité de SCORE2 devraient être compris entre 5 à 7% pour les patients de 40 à 69 ans.

 

 

 

DISCUSSION

 

Le modèle SCORE2 réduit de façon importante les recommandations de grade I d’éligibilité au traitement par statine (4%), avec une faible sensibilité pour détecter les patients qui feront un ECV. Cela concerne notamment les femmes, qui sont moins de 1% à remplir les critères d’éligibilité. Les autres scores présentent de bien meilleures performances (20 à 34% des patients y remplissent les critères d’éligibilité).

Les performances de SCORE2 pourraient être améliorées en réduisant les seuils d’éligibilité au traitement par statine soit pour l’ensemble de la population, soit en utilisant des seuils spécifiques au sexe.

Le risque cardiovasculaire estimé par SCORE2 est seulement un peu plus élevé que celui estimé par SCORE pour plusieurs raisons : l’âge est une variable forte du risque dans SCORE, SCORE surestime le risque d’un facteur 6 et SCORE2 est mieux calibré.

La surestimation du risque d’ECV fatal par SCORE est liée au fait qu’il a été établi à partir de cohortes anciennes (1967 à 1991) et que la mortalité cardiovasculaire a été réduite depuis.

Le risque cardiovasculaire prédit avec SCORE2 est similaire à celui prédit par le PCE, alors que SCORE2 inclue également les décès cardiovasculaires non coronaires. La surestimation du risque avec PCE a déjà été questionnée dans la littérature. Dans cette étude, le PCE surestime le risque chez les patients à risque élevé. Le score est en revanche bien calibré pour les patients à risque intermédiaire (7.5%), seuil d’égibilité au traitement, de même que le QRISK3.

Les auteurs soulignent que les seuils d’égibilité aux statines pour les différents groupes d’âge n’étaient pas été explicitées dans les recommandations ESC 2021. L’étude montre que SCORE2 réduit de façon substantielle l’égibilité au traitement, ce qui n’est pas le cas pour PCE er QRISK3, qui présentent également une bonne sensibilité pour détecter les patients éligibles qui feront un ECV (50 à 60%) contrairement à SCORE (14%).

Néanmoins, la performance clinique de SCORE2 peut être améliorée comme cela a été souligné précédemment.

Les auteurs soulignent quelques limites à l’étude : elle est limitée à une population européenne de race blanche ; les résultats sont applicables aux pays européens à faible risque cardiovasculaire ; le recrutement assez ancien des premiers patients (2003).

 

Conclusion des auteurs :  les futures recommandations ESC devraient considérer des seuils plus faibles d’égibilité au traitement par statines, notamment pour les femmes, qui représentent la portion congrue de ces patients éligibles.

 

COMMENTAIRES

 

Les résultats de cette comparaison devraient nous inciter à ne pas être frileux quant à la prescription d’une statine en prévention primaire chez les patients qui sont éligibles selon les recommandations 2021 de l’ESC, et notamment chez les femmes, chez lesquelles il ne faut également pas négliger de rechercher les facteurs de risque spécifiques (HTA gravidique, prééclampsie), même s’il a été montré que l’introduction de ces facteurs dans l’estimation du risque ne permettait pas une reclassification significative du risque de ces patientes (2).

Les auteurs soulignent que les seuils d’égibilité aux statines pour les différents groupes d’âge n’étaient pas été précisément explicités dans les recommandations ESC 2021. Néanmoins, pour le groupe d’âge 50-69 ans, il semble que le seuil d’introduction du traitement (traitement « recommandé ») ait bien été abaissé dans SCORE2, puisqu’un risque ≥ 10% dans SCORE2 (risque très élevé) correspond à un risque ≥ 5% dans SCORE (risques élevé et très élevé), alors que les données de SCORE indiquaient plutôt un rapport de 3 (voire 4 pour les femmes) entre le risque total d’évènements (fatals + non fatals) et le risque d’évènements fatals (3).

 

Références

1.Navar AM, Fonarow GC, Pencina MJ. Time to Revisit Using 10-Year Risk to Guide Statin Therapy. JAMA Cardiol. 2022;7(8):785–786. 

2.Markovitz AR, Stuart JJ, Horn J, Williams PL, Rimm EB, Missmer SA, Tanz LJ, Haug EB, Fraser A, Timpka S, Klykken B, Dalen H, Romundstad PR, Rich-Edwards JW, Åsvold BO. Does pregnancy complication history improve cardiovascular disease risk prediction? Findings from the HUNT study in Norway. Eur Heart J. 2019 Apr 7;40(14):1113-1120.

3.SCORE2 working group and ESC Cardiovascular risk collaboration. SCORE2 risk prediction algorithms: new models to estimate 10-year risk of cardiovascular disease in Europe. Eur Heart J 2021;42:2439_2454