Chers amis, nous poursuivons l’année par une newsletter sur la pathologie veineuse, suite aux récentes publications sur la prévention de la maladie thromboembolique veineuse chez les patients atteints
de cancer. Les patients présentant un cancer sont à risque de maladie thromboembolique veineuse (MTEV). Si la prophylaxie antithrombotique est recommandée pour une courte durée dans les situations à haut risque thrombotique, le bénéfice d’une prophylaxie à long terme est incertain.
Nous avons sélectionné 2 études publiées en Février2019 dans le New England Journal of Medicine, et vous proposons un retour sur les recommandations actuelles dans la MTEV associée au cancer.
1. L’étude AVERT, sur l’apixaban en prévention thromboembolique chez des patients atteints de cancer.
2. L’étude CASSINI, sur le rivaroxaban en prévention des évènements thromboemboliques veineux chez les patients ambulatoires à risque élevé atteints de cancer.
3. Etat actuel des recommandations à propos de la prise en charge thérapeutique de la maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer.
Etude AVERT : évaluation de l’apixaban en prévention des évènements thromboemboliques chez des patients atteints de cancer.
Carrier M, Abou-Nassar K, Mallick R, et al. Apixaban to Prevent Venous Thromboembolism in Patients with Cancer. N Engl J Med 2019;380:711–9.
OBJECTIF
Devant le risque thrombotique accru chez les patients atteints de cancer, l’objectif de cette étude est d’évaluer l’intérêt d’une prescription d’apixaban à faible dose en prévention primaire des évènements
thromboemboliques veineux.
MÉTHODES
Il s’agit d’une étude randomisée en double aveugle, qui teste l’apixaban 2,5 mg 2 fois par jour contre un placebo dans une population de patients atteints de cancer et débutant une chimiothérapie, avec un risque
thromboembolique modéré à élevé, défini par un score de Khorana ≥ 2. Le critère principal d’efficacité était l’apparition d’un premier évènement thromboembolique veineux (embolie pulmonaire ou thrombose veineuse profonde proximale) à 6 mois. Les évènements hémorragiques majeurs étaient enregistrés comme critère de sécurité.
RÉSULTATS
Cinq cent soixante-trois patients ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter, d’âge moyen 61 ans, avec principalement des cancers gynécologiques (25,8%), lymphomes (25,3%) et cancers du pancréas (13,6%). Les patients étaient répartis entre apixaban (288) et placebo (275), avec un suivi moyen de 6 mois. Les événements thromboemboliques veineux étaient significativement plus faibles sous apixaban : 12 événements (4,2%) vs. 28 (10,2%) sous placebo (HR 0.41 ; IC 0.26-0.65, p<0.01). En revanche, les évènements hémorragiques majeurs étaient augmentés sous apixaban : 10 événements (3,5 %) vs. 5 (1,8 %) sous placebo (HR 2 ; IC 1.01-3.95, p=0.046).
CONCLUSION
Chez les patients atteints de cancer avec un score de Khorana ≥ 2 et débutant une chimiothérapie, la prophylaxie antithrombotique par apixaban 2,5 mg x 2 par jour permet de réduire significativement l’incidence des évènements thromboemboliques veineux (-59%) mais au prix d’un risque multiplié par 2 d’hémorragies majeures.
Etude CASSINI : évaluation du rivaroxaban en prévention des évènements thromboemboliques veineux chez les patients cancéreux ambulatoires à risque élevé.
Alok A. Khorana, M.D., Gerald A. Soff, M.D., Ajay K. Kakkar, M.B., B.S., Ph.D., et al., Rivaroxaban for Thromboprophylaxis in High-Risk Ambulatory Patients with Cancer. N Engl J Med 2019; 380:720-728.
OBJECTIF
Evaluer l’efficacité et la sécurité de la thromboprophylaxie par rivaroxaban chez des patients atteints d’une tumeur solide ou d’un lymphome ayant un score de Khorana ≥ 2 et débutant un nouveau traitement systémique du cancer.
MÉTHODES
Il s’agit d’une étude randomisée en double aveugle chez des patients souffrant de cancer, ayant une espérance de vie de plus de 6 mois, et débutant un nouveau traitement systémique anticancéreux. Seuls les individus ayant un score Khorana ≥2 à étaient inclus dans l’étude. Les patients ne présentant aucune thrombose veineuse profonde au dépistage ont été randomisés pour recevoir quotidiennement soit 10 mg de rivaroxaban soit un placebo pendant 6 mois. Le critère principal d’évaluation est un critère composite constitué du diagnostic d’une thrombose veineuse profonde proximale ou distale des membres inférieurs ou des membres supérieurs, ou d’une embolie pulmonaire, ou du décès par MTEV. Les analyses ont été réalisées sur l’ensemble de la période de suivi (6 mois) ainsi que sur une période restreinte à la période de traitement (4,3 mois). Le principal critère de sécurité était la survenue d’une hémorragie majeure.
RÉSULTATS
Le cancer le plus fréquent dans la population étudiée était le cancer pancréatique (32,6%). Au total, 54,5% des patients avaient une maladie métastatique. La durée moyenne du traitement était de 4,3 mois. Sur les 6 mois de suivi, le critère principal d’évaluation a été observé chez 25/420 patients (6,0 %) du groupe rivaroxaban et chez 37/421 (8,8 %) du groupe placebo (HR : 0,66 ; IC 0,40-1,09, p = 0,10). Les analyses portant uniquement sur la période de traitement montrent que le critère principal d’évaluation essurvenu chez 2,6% des sujets sous rivaroxaban et 6,4% de ceux sous placebo (HR 0,40, IC 0,20-0,80). Au cours des 6 mois de suivi, 20,0% des individus sous Rivaroxaban et 23,8% sous placebo sont décédés (HR 0,83 ; IC 0,62-1,11). Des saignements majeurs ont été notifiés chez 2,0% (n=8) des patients sous Rivaroxaban et 1,0% (n=4) de ceux sous placebo, sans différence significative du risque (HR 1,96 ; IC 0,59-6,49).
CONCLUSIONS
Chez les patients atteints de cancer, à risque thromboembolique modéré à élevé et débutant un nouveau traitement systémique, le rivaroxaban 10mg par jour n’a pas été plus efficace que le placebo au cours d’un suivi de 6 mois. En revanche, pendant l’intervention (4,3 mois) le rivaroxaban a entraîné une moindre incidence de ces événements, avec une faible incidence de saignements graves. La principale limitation de cette étude est le fort taux de sujets ayant arrêté prématurément le suivi (43,7% des patients sous rivaroxaban et 50,2% des contrôles).
Etat actuel des recommandations à propos de la prise en charge thérapeutique de la maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer.
1er article de recommandation : SPLF (Société de Pneumologie de Langue Française) - Traitement de la MTEV chez les patients atteints de cancer – 2019. Sanchez O, Benhamou Y, Bertoletti L, Constant J, Couturaud F, Delluc A, et al. Recommandations de bonne pratique pour la prise en charge de la maladie veineuse thromboembolique chez l’adulte. Version courte. Revue des Maladies Respiratoires. 1 févr 2019;36(2):249 8.
On retient qu’il est recommandé de traiter les patients par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) sans relais par AVK pendant les six premiers mois après survenue d’un événement thromboembolique
veineux chez un patient atteint d’un cancer. En cas d’intolérance aux HBPM, il est suggéré d’utiliser un anticoagulant oral direct plutôt qu’un AVK sauf en cas de cancer digestif ou urologique. Après 6 mois de traitement anticoagulant, la poursuite du traitement anticoagulant est recommandée lorsque le cancer est actif c’est à dire en cours de traitement (y compris dans le cas de la poursuite d’une hormonothérapie). Quand le traitement anticoagulant est poursuivi au-delà de 6 mois, il est suggéré de prendre en compte les éléments suivants pour le choix de la classe d’anticoagulants à utiliser :
- l’activité du cancer (en concertation avec l’équipe oncologique)
- le risque de rechute du cancer en cas de rémission
- le traitement du cancer en cours
- le type de traitement anticoagulant au cours des 6 premiers mois
- la tolérance du traitement anticoagulant dans les 6 premiers mois
- la survenue d’une récidive thromboembolique veineuse dans les 6 premiers mois
- la préférence du patient.
Ainsi, il est suggéré :
- de poursuivre l’HBPM quand un traitement par chimiothérapie est poursuivi et que le traitement par HBPM a été bien toléré, efficace et bien accepté par le patient jusque-là ;
- de remplacer l’HBPM par un anticoagulant oral (AVK ou AOD) quand le traitement par HBPM a été mal accepté ou mal toléré (notamment en raison des hématomes aux sites d’injection) ou si le traitement
antitumoral ne comporte pas de chimiothérapie (hormonothérapie, thérapie ciblée).
Traitement des récidives thromboemboliques veineuses sous traitement anticoagulant
Devant une récidive thromboembolique sous traitement, il est suggéré de documenter la récidive par un examen d’imagerie, notamment en cas d’épisode de MTEV de découverte fortuite, et de prendre en compte le
type de récidive (TVP ou EP), sa gravité et le risque hémorragique.
Devant une récidive thromboembolique :
- sous traitement par AVK, il est suggéré de remplacer l’AVK par une HBPM à dose curative.
- sous HBPM, d’augmenter la dose d’HBPM de 25 % si l’HBPM était déjà donnée à dose curative et sinon de revenir à une posologie curative.
2ème article de recommandation : Prophylaxie de la MTEV chez les patients atteints de cancer - 2016 Farge D, Bounameaux H, Brenner B, Cajfinger F, Debourdeau P, Khorana AA, et al. International clinical practice guidelines including guidance for direct oral anticoagulants in the treatment and prophylaxis of venous thromboembolism in patients with cancer. The Lancet Oncology. Oct 2016;17(10):e452 66.
En milieu chirurgical
L’utilisation des HBPM en 1 injection par jour ou de l’héparine calcique en 3 injections par jour est recommandée à la dose prophylactique la plus élevée pour prévenir la MTEV post opératoire. Cette prophylaxie doit être débutée 2 à 12 heures avant l’intervention et être poursuivie au moins 7 à 10 jours. La pose de filtre cave n’est pas recommandée.
En milieu médical
La prophylaxie par HBPM, héparine calcique ou fondaparinux est recommandée chez les patients atteints de cancer hospitalisés et à mobilité réduite. Chez les patients traités par chimiothérapie, la prophylaxie systématique n’est pas recommandée. Une prophylaxie primaire pharmacologique peut être indiquée chez les patients avec un cancer du pancréas localement avancé ou métastatique ayant un faible risque hémorragique. Chez les patients atteints de myélome multiple et traités par thalidomide ou lenalidomide en association avec des corticoïdes et/ou une chimiothérapie (doxorubicine), une prophylaxie de la MTEV est recommandée.
Prophylaxie de la thrombose veineuse sur cathéter central
L’utilisation d’anticoagulants n’est pas recommandée dans la prophylaxie de la thrombose veineuse sur cathéter central. Le cathéter doit être inséré du côté droit, dans la veine jugulaire, l’extrémité distale du cathéter doit se situer à la jonction veine cave supérieure-oreillette droite.
RÉFÉRENCES :
1. Khorana AA, Kuderer NM, Culakova E, et al. Development and validation of a predictive model for chemotherapyassociated thrombosis. Blood 2008;111:4902–7. doi:10.1182/blood-2007-10-116327.
2. Laroche J-P. Stratification du risque thrombotique chez le patient cancéreux. J Mal Vasc 2011;36:78–9. doi:10.1016/j.jmv.2010.12.111.