Les thromboses des veines des membres supérieurs représentent 5 à 10% des évènements thromboemboliques veineux (1). Ces localisations peu fréquentes sont aussi moins graves car elles exposent à un risque d’embolie pulmonaire moins important que lorsque la thrombose est localisée aux membres inférieurs. Jusqu’à présent, il n’a jamais été réalisé d’évaluation par essai randomisé de l’efficacité et de la tolérance des anticoagulants pour le traitement des thromboses veineuses superficielles ou profondes des membres supérieurs. Ainsi, les recommandations de prise en charge de ces thromboses sont extrapolées de ce qui est connu des localisations classiques de la maladie veineuse thromboembolique. L’ACCP (American College of Chest Physicians) a proposé en 2012 de traiter les thromboses veineuses profondes (TVP) des membres supérieurs atteignant la veine axillaire ou une veine plus proximale par anticoagulants à dose curative pendant 3 mois. Cette anticoagulation doit être prolongée au delà de trois mois si la TVP est survenue au cours d’un cancer et que ce cancer reste actif ou lorsque la TVP est survenue sur un cathéter veineux central qui est toujours en place (2). Le port systématique d’un manchon de compression n’est pas recommandé pour prévenir le syndrome post thrombotique. En ce qui concerne les thromboses veineuses superficielles (TVS), l’ACCP ne propose pas de recommandations spécifiques aux membres supérieurs.
En raison du manque de données concernant le traitement et le devenir des thromboses veineuses des membres supérieurs, les auteurs de l’article intitulé « Current management strategies and long-term clinical outcomes of upper extremity venous thrombosis » ont décrit la prise en charge de 157 patients avec une TVS ou une TVP des membres supérieurs (3). Ces patients ont été inclus dans une étude multicentrique évaluant une stratégie diagnostique de la TVP des membres supérieurs basée sur l’établissement de la probabilité clinique de thrombose à l’aide du score de Constans (4) révisé pour la TVP du membre supérieur (voir Tableau) et sur le dosage des D-Dimères pour décider de la réalisation ou non d’un écho-Doppler (5).
Suivi des patients avec thrombose veineuse profonde des membres supérieurs.
Au total, 102 patients avec une TVP des membres supérieurs (atteinte de la veine brachiale ou d’une veine plus proximale) ont été suivis. Leur âge moyen était de 54 ans, 43% étaient des hommes. Près de 98% des patients avaient été traités par anticoagulants à pleine dose. La durée médiane d’anticoagulation de ces TVP était de 182 jours. Tous les patients sauf un ont reçu une anticoagulation initiale par voie parentérale (la période d’inclusion de l’étude s’étendant de 2010 à 2012) suivie par des anti-vitamines K (AVK) en l’absence de cancer.
Les patients atteints de cancer (n = 42, 41%) ont été traités par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) seule dans 78% des cas. Les patients avec cancer ont été traités au long cours dans 38% des cas contre 13% des cas chez les patients avec TVP non associée à un cancer.
Une compression élastique du membre supérieur était prescrite pour 30% des patients. La TVP était associée à un Port-a-Cath ou un autre type de voie centrale chez 33 patients et la voie centrale a été retirée chez deux d’entre eux dans les deux semaines suivant le diagnostic de thrombose. La durée médiane d’anticoagulation était de 182 jours en cas de présence d’une voie centrale et de 240 jours lorsqu’un pace-maker était présent.
Au total, neuf patients (9%) ont développé une thrombose au cours du suivi et cinq d’entre eux ont thrombosé sous anticoagulants. Sur ces cinq patients, un recevait une pleine dose d’HBPM, un recevait une dose intermédiaire et trois étaient sous AVK. Le délai médian de survenue de la récidive était de 53 jours pour les récidives sous traitement et de 417 jours pour les récidives après arrêt du traitement anticoagulant.
26% des patients sont décédés au cours du suivi, majoritairement en raison de l’évolution d’un cancer.
Les patients ont été interrogés sur la présence d’un syndrome post-thrombotique (SPT). Il s’agissait d’un auto-questionnaire concernant les signes fonctionnels du SPT, le recueil des données de suivi se faisant essentiellement par téléphone. Sur les 72 patients qui ont répondu au questionnaire 64% n’ont pas rapporté de SPT, 28% avaient un SPT léger et 8% un SPT modéré. Aucun patient ne rapportait de symptômes en lien avec un SPT sévère. Le port d’un manchon de compression n’était pas associé à une moindre fréquence de SPT (27% vs 41%, p = 0,20).
Une hémorragie majeure est survenue chez 5% des patients sous anticoagulants.
Suivi des patients avec thrombose veineuse superficielle des membres supérieurs
Cinquante-cinq patients avaient une TVS des membres supérieurs. L’âge moyen des patients était de 56 ans et 56% étaient des hommes. Une anticoagulation a été débutée chez 40 (73%) des 55 patients de l’étude avec une TVS des membres supérieurs. Le traitement initial de la TVS a consisté en une anticoagulation à dose curative par voie parentérale pour la moitié des patients traités suivie d’une réduction de dose. L’autre moitié des patients a reçu une dose réduite (intermédiaire ou prophylactique) d’anticoagulants durant toute la période de traitement. La durée médiane d’anticoagulation était de 42 jours.
Une voie veineuse centrale était présente chez 6 patients (11%) et aucune n’a pas été retirée en raison de la thrombose.
Au cours du suivi, un seul patient a développé une récidive de thrombose : il s’agissait d’un patient avec un cancer du colon métastatique qui a présenté une thrombose veineuse splanchnique plus de deux ans après l’arrêt de l’anticoagulation. Un tiers des patients qui ont pu être interrogés ont développé des symptômes compatibles avec un SPT. Enfin, un tiers des patients sont morts lors du suivi ; plus de la moitié des décès était en lien avec l’évolution d’un cancer.
Cas particulier des patients avec un cancer.
Les caractéristiques des 42 patients avec une TVP des membres supérieurs survenue au cours d’un cancer ont été comparées à celles de 73 patients chez qui une TVP des membres supérieurs avait été exclue. Ces patients ont été suivis sur une durée médiane de 3,3 ans. Les patients avec TVP avaient plus souvent un cathéter veineux central en place (74% vs. 40%, p < 0,001) et recevaient plus souvent une chimiothérapie lors de la suspicion de thrombose (81% vs. 60%, p= 0,02). La proportion de patient avec métastase n’était pas différente entre les deux groupes.
Le risque de récidive de maladie veineuse thromboembolique était deux fois plus important chez les patients avec cancer en comparaison aux patients avec TVP des membres supérieurs non associée à un cancer. Après trois ans et demi de suivi, il n’y avait pas de différence entre le taux de survie des patients avec cancer et TVP des membres supérieurs et le taux de survie des patients avec cancer sans TVP des membres supérieurs.
Enfin, aucun des patients avec cancer n’a eu d’hémorragie majeure au cours de la période d’anticoagulation.
Commentaires
Cette étude nous apporte de nombreuses informations concernant le traitement des thromboses veineuses des membres supérieurs. D’abord, l’anticoagulation a été bien tolérée pour la majorité des patients. La durée médiane d’anticoagulation des TVP était de six mois, ce qui est plus long que les trois mois suggérés par l’ACCP. Toutefois, plus de 40% des patients avaient un cancer actif et un cathéter veineux central pour l’administration de leur chimiothérapie ce qui explique l’allongement de la durée d’anticoagulation. De plus, lorsque les conditions étaient remplies, l’arrêt du traitement n’était pas associé à un risque majeur de récidive de maladie veineuse thromboembolique. Enfin, au contraire des TVP des membres inférieurs et de l’embolie pulmonaire, la survenue d’une TVP des membres supérieurs ne marquait pas le pronostic du cancer.
Bien que non formellement évalué, il n’y avait pas d’effet de la compression veineuse sur la survenue du SPT. Le faible effectif de l’étude ne permet pas de tirer des conclusions définitives mais ces résultats sont à relier à ceux de l’étude SOX, un essai randomisé qui n’a pas permis de montrer l’efficacité de la compression veineuse sur la survenue du SPT après une TVP des membres inférieurs (6).
Par ailleurs, les résultats de cette étude montrent que les TVS du membre supérieur sont des pathologies bénignes qui peuvent être traitées par de faibles doses d’anticoagulants et exposent à un faible risque de récidive thromboembolique. On peut toutefois regretter que les auteurs de ce travail n’aient pas précisé les raisons pour lesquels l’anticoagulation avait été arrêtée ou poursuivie chez ces patients.
En conclusion, cet article apporte des données rassurantes sur l’application des recommandations concernant la prise en charge thérapeutique des TVS et TVP des membres supérieurs.
Tableau : score de Constans révisé
Item |
Points |
Matériel endoveineux |
+1 |
Douleur localisée |
+1 |
Œdème unilatéral |
+1 |
Autre diagnostic possible |
-1 |
Score ≤1 : TVP peu probable ; score >1
Références
1. Joffe HV, Kucher N, Tapson VF, Goldhaber SZ. Upper-extremity deep vein thrombosis: a prospective registry of 592 patients. Circulation. 2004;110(12):1605-11.
2. Kearon C, Akl EA, Comerota AJ, Prandoni P, Bounameaux H, Goldhaber SZ, et al. Antithrombotic therapy for VTE disease: Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest. 2012;141(2 Suppl):e419S-94S.
3. Bleker SM, van Es N, Kleinjan A, Buller HR, Kamphuisen PW, Aggarwal A, et al. Current management strategies and long-term clinical outcomes of upper extremity venous thrombosis. J Thromb Haemost. 2016;14(5):973-81.
4. Constans J, Salmi LR, Sevestre-Pietri MA, Perusat S, Nguon M, Degeilh M, et al. A clinical prediction score for upper extremity deep venous thrombosis. Thromb Haemost. 2008;99(1):202-7.
5. Kleinjan A, Di Nisio M, Beyer-Westendorf J, Camporese G, Cosmi B, Ghirarduzzi A, et al. Safety and feasibility of a diagnostic algorithm combining clinical probability, d-dimer testing, and ultrasonography for suspected upper extremity deep venous thrombosis: a prospective management study. Ann Intern Med. 2014;160(7):451-7.
6. Kahn SR, Shapiro S, Wells PS, Rodger MA, Kovacs MJ, Anderson DR, et al. Compression stockings to prevent post-thrombotic syndrome: a randomised placebo-controlled trial. Lancet. 2014;383(9920):880-8.