Le facteur Xa a un rôle central dans la cascade de la coagulation. Son inhibition induit une diminution de la formation de thrombine et impacte la formation de fibrine et le fonctionnement des plaquettes. Ceci explique qu'une molécule anti-Xa, en l'occurrence le rivaroxaban, puisse avoir un effet additionnel bénéfique en association à un antiplaquettaire en prévention artérielle. Dans l'étude COMPASS PAD, les évènements cardiovasculaires ischémiques majeurs étaient diminués de 28% et les évènements vasculaires majeurs de membre inférieur (MI) de 46% avec l'association rivaroxaban (2.5 mg x 2 par jour) et acide acétylsalicylique (100 mg x 1 par jour) chez des patients ayant une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) stable sans revascularisation récente. Jusqu'alors, aucun bénéfice n'a été démontré en post-revascularisation pour le versant thrombotique avec les différents schémas thérapeutiques testés (antivitamines K (AVK), association AVK-antiplaquettaire, association d'antiplaquettaires). De plus,ces schémas thérapeutiques ont entrainé une majoration du risque hémorragique (études Dutch BOA, WAVE, CASPAR). A noter que l'incidence des ischémies aiguës, des amputations majeures et des évènements cardio-vasculaires fatals ou non est très élevée en cas d'AOMI au stade de revascularisation.
L'étude VOYAGER PAD est la première à tester et montrer l'efficacité de l'association rivaroxaban (2.5 mg x 2 par jour) et acide acétylsalicylique (100 mg x 1 par jour) en post-revascularisation en utilisant un critère primaire composite incluant ischémie aiguë et amputation majeure de membres inférieurs (première étude à prendre en compte ces items). L'effet bénéfique est apparu dès 3 mois et s'est poursuivi tout au long de l'étude. Ce schéma thérapeutique ne s'est pas accompagné d'une augmentation des hémorragies majeures selon le critère primaire de sécurité ni des hémorragies intracrâniennes ou fatales.
VOYAGER PAD est une étude prospective randomisée (ratio 1:1) en double aveugle versus placebo comparant l'efficacité de l'association rivaroxaban (2.5 mg x 2 par jour) et acide acétylsalicylique (100 mg x 1 par jour) à l'acide acétylsalicylique en monothérapie chez des patients-AOMI d'au moins 50 ans inclus au 10ème jour d'une revascularisation sous inguinale fonctionnelle avec stratification selon le type de revascularisation réalisée (chirurgicale, endovasculaire ou hybride), et la prise concomitante de clopidogrel dans la strate revascularisation endovasculaire ou hybride. La randomisation a eu lieu d'août 2015 à janvier 2018 et était centralisée et informatisée (34 pays, 542 sites). L'inclusion était impossible en cas de statut clinique instable, de fort risque hémorragique ou de trouble trophique dépassant le niveau des orteils. L'utilisation du clopidogrel était tolérée pendant au maximum 6 mois après l'inclusion. Cette étude a été construite et mise en place par un groupe collaboratif incluant le Centre de prévention du Colorado. Le nombre de sujets nécessaires (n=6 500) a été calculé en se basant sur une réduction de 20% de l'estimation de l'incidence des évènements ischémiques tous territoires confondus (7.5%). Une analyse intermédiaire était prévue et a été réalisée. Les patients étaient vus en consultation à 1, 3, 6 mois puis tous les 6 mois. Tous les évènements ont été adjudiqués par un comité indépendant.
Le critère primaire d'efficacité était composite et évaluait l'incidence cumulée à 3 ans de : ischémie aiguë de membre inférieur, amputation majeure de cause vasculaire, infarctus du myocarde (IDM), accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, mortalité cardio-vasculaire. Ce critère primaire d'efficacité a été analysé en intention de traiter. Le critère secondaire d'efficacité incluait les items du critère primaire, mais aussi revascularisation non prévue pour ischémie du membre ayant justifié l'inclusion, hospitalisation pour évènement thrombotique coronaire ou des MI, AVC de toute cause, mortalité globale. Ce critère secondaire d'efficacité a été analysé de deux façons (intention de traiter et méthode hiérarchique). Le critère principal de sécurité comptabilisait les hémorragies majeures selon la classification TIMI (Thrombolysis in Myocardial Infarction : hémorragie fatale, hémorragie intracranienne, baisse du taux d'hémoglogine > 5 g/dL ou de l'hématocrite > 15%). Le critère secondaire de sécurité comptabilisait les hémorragies majeures selon la classification ISTH (International Society of Thrombosis and Haemostasis : hémorragie fatale, hémorragie de localisation critique, baisse du taux d'hémoglogine > 2 g/dL, transfusion de > 2 unités de sang total ou de culots globulaires). Les 2 critères de sécurité ont été analysés parmi les patients ayant reçu au moins une dose du traitement.
Les principales caractéristiques des 6 364 patients inclus étaient : âge médian = 67 ans, proportion de femmes = 26%, index de pression systolique médian = 0.56, tabagisme actif = 35%, diabète = 40%, hypertension artérielle = 81%, débit de filtration glomérulaire < 60 ml/mn/1.73m2 = 20%, statine = 80%, bloqueur du système rénine angiotensine = 63%, antécédent coronaire = 31%, antécédent d'IDM = 11%. L'AOMI était évoluée puisque 36% des patients avaient un antécédent de revascularisation des MI, 6% un antécédent d'amputation et 30 % un antécédent d'ischémie critique chronique. Un tiers des patients ont été traités par chirurgie conventionnelle (35%) et 2/3 par technique endovasculaire ou hybride (65%). Il faut noter que près d'un quart des patients étaient au stade d'ischémie critique chronique (23%). Le suivi médian était de 28 mois. Le taux de perdus de vue était de 0.09 % dans les 2 groupes.
Les principaux résultats sont résumés dans le tableau ci dessous. Le nombre d'évènements ischémiques majeurs (critère primaire incluant ischémie aiguë et amputation majeure de membre) était significativement moindre dans le groupe rivaroxaban. Il en était de même pour les critères secondaires d'efficacité à l'exception de la mortalité globale. Pour le versant tolérance, la différence n'était pas significative pour le critère primaire (risque hémorragique selon TIMI). En revanche, le risque hémorragique était significativement plus élevé dans le groupe rivaroxaban en se basant sur le critère secondaire de tolérance (risque hémorragique selon ISTH). Aucune différence n'a été mise en évidence pour les hémorragies intracrâniennes ou fatales.
|
Rivaroxaban + ASA (N = 3 286) |
ASA
(N = 3 278) |
HR (IC95%) |
p |
Arrêt prématuré du traitement |
33.2% |
31.1% |
|
|
EFFICACITE |
|
|
|
|
Critère primaire |
17.3 % |
19.9 % |
0.85 (0.76-0.96) |
0.009 |
|
Rivaroxaban + ASA (N = 3 256) |
ASA
(N = 3 248) |
|
|
TOLERANCE |
|
|
|
|
Primaire (TIMI) |
2.65 % |
1.87 % |
1.43 (0.97-2.10) |
0.07 |
Secondaire (ISTH) |
5.94 % |
4.06 % |
1.42 (1.10-1.84) |
0.007 |
Hémorragie intracrânienne ou fatale |
0.74% |
0.97% |
0.91 (0.47-1.76) |
NS |
ASA : acide acétylsalicylique, HR : hazard ratio, IC : intervalle de confiance, NS : non significatif.
Les auteurs estiment que pour 10 000 patients traités pendant 1 an, l'association rivaroxaban-acide acétylsalicylique a permis d'éviter 181 évènements ischémiques majeurs, en entrainant en parallèle la survenue de 29 hémorragies selon la classification TIMI.
Plusieurs limites de cette étude peuvent être soulevées : taux plus élevé que prévu d'arrêt de prise du traitement alloué de façon identique dans les 2 groupes (a pu minorer l'efficacité mesurée du groupe rivaroxaban), participation de 2 laboratoires pharmaceutiques au design de l'étude, à la sélection des sites, à l'élaboration de l'article et au sponsoring (Bayer et Janssen Pharmaceuticals).Claire LE HELLO