Rivaroxaban vs warfarine dans le SAPL à haut risque thrombotique.

Titre original : 
Rivaroxaban vs warfarin in high-risk patients with antiphospholipid syndrome.
Titre en français : 
Rivaroxaban vs warfarine dans le SAPL à haut risque thrombotique.
Auteurs : 
Pengo V, Denas G, Zoppellaro G, Jose SP, Hoxha A, Ruffatti A, Andreoli L, Tincani A, Cenci C, Prisco D, Fierro T, Gresele P, Cafolla A, De Micheli V, Ghirarduzzi A, Tosetto A, Falanga A, Martinelli I, Testa S, Barcellona D, Gerosa M, Banzato A.
Revue : 
Blood. 2018 Sep 27;132(13):1365-1371

Traductions & commentaires : 
Virginie DUFROST, Stéphane ZUILY, Denis WAHL.



Cet article rapporte les résultats négatifs d’une étude italienne testant le traitement par rivaroxaban chez les patients présentant un syndrome des anticorps antiphospholipides avec une triple positivité (positivité des trois tests antiphospholipides : anticoagulant circulant lupique (LA), anticorps anticardiolipide (aCL) et anti-ß2GPI (aß2GPI)).

INTRODUCTION

Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est une thrombophilie acquise caractérisée par l’association d’antécédent thrombotique, veineux, artériel ou microcirculatoire, ou la présence d’évènements obstétricaux, à la positivité d’anticorps antiphospholipides. Les patients présentant une triple positivité représentent un sous-groupe de patients particulièrement à haut risque thrombotique, à la fois de premier évènement mais également de récidive sous traitement. Actuellement, le traitement de référence est la warfarine. Le rivaroxaban, inhibiteur direct du facteur Xa, non inférieur à la warfarine en prévention des évènements thrombotiques veineux et artériels, possède une pharmacodynamie prédictive, ne nécessitant pas de surveillance des paramètres de la coagulation. De ce fait, il pouvait représenter une alternative potentielle dans le SAPL, objet de cette étude.

METHODES

Il s’agit d’un essai prospectif de phase III, contrôlé, randomisé, de non-infériorité, conduit dans 14 centres italiens entre 2014 et 2018. La triple positivité était définie par la positivité du LA basée sur les recommandations de l’International Society of Thrombosis and Haemostasis (ISTH), positivité de l’aCL en IgG ou IgM (> 40MPL ou > 99ème percentile), positivité de l’aß2GPI en IgG ou IgM (> 40UI ou > 99ème percentile). L’aß2GPI et l’aCL étaient positifs pour le même isotype. Les patients randomisés dans le groupe rivaroxaban recevaient 20mg/jour de rivaroxaban si la clairance était supérieure à 50ml/min selon Cockroft-Gault ou 15mg/j si la clairance était entre 30 et 50 ml/min.

Les patients randomisés dans le groupe warfarine poursuivaient leur traitement à dose nécessaire pour maintenir un INR entre 2 et 3. La bithérapie avec de l’aspirine était permise et laissée à la discrétion de l’investigateur.

Le critère de jugement principal était l’incidence cumulative d’évènements thrombotiques, de saignements majeurs et de décès de cause vasculaire. L’analyse était réalisée en intention de traiter.

RESULTATS

L’étude a été arrêtée prématurément le 25 janvier 2018 sur les recommandations du conseil d’adjudication et de sécurité.

Cent vingt patients ont été randomisés : 59 dans le groupe traité par rivaroxaban et 61 dans le groupe traité par warfarine. Les caractéristiques des patients, équivalentes dans les deux groupes y compris pour les facteurs de risque de thrombose, sont détaillées dans la Table 1. Deux patients randomisés dans le groupe rivaroxaban ont reçu la dose faible de 15 mg/j. Neuf patients ont arrêté leur traitement dans le groupe rivaroxaban et 3 dans le groupe warfarine principalement en raison de retraits de consentement, de saignements non majeurs (rivaroxaban) et de désir de grossesse. 

Dans l’analyse en intention de traiter, 15 événements ont été rapportés dont 13 dans le groupe rivaroxaban et 2 dans le groupe warfarine (HR 7.4, IC 95% 1.7-32.9, p=0.008). Aucun de ces patients n’était traité par la faible dose de rivaroxaban. Parmi les 9 évènements thrombotiques rapportés dans le groupe rivaroxaban figuraient 4 AVC (7%), 3 infarctus du myocarde (5%), 1 thrombose veineuse profonde bilatérale des membres inférieurs (3 semaines après switch du rivaroxaban pour de l’HBPM en raison de saignements gingivaux) et 1 décès de cause cardiovasculaire alors que le traitement avait été remplacé par la warfarine. Un épisode de saignement majeur était rapporté chez 4 patients dans le groupe sous rivaroxaban et chez 2 patients dans le groupe sous warfarine. Aucun évènement thrombotique n’a été rapporté dans le groupe de patients traités par warfarine. Les résultats sont détaillés dans la Table 2. L’incidence d’évènements thrombotiques en fonction du temps dans les groupes est reportée dans la Figure 1.

CONCLUSION

Le traitement par rivaroxaban est associé à un risque élevé de récidive thrombotique chez les patients SAPL présentant une triple positivité par rapport à la warfarine.

COMMENTAIRES

Cette étude confirme une tendance déjà soulignée par de nombreux rapports de cas.

Une revue systématique publiée en 2018 recensant 447 patients traités par anticoagulant oraux directs (AOD) (dont 290, 65%, par rivaroxaban) où la triple positivité était associée à la récidive thrombotique avec un Odds Ratio de 4.3 [IC 95% 2.3-7.7]. Parmi les autres facteurs associés à la récurrence de thrombose figuraient les antécédents de manifestation artérielle et microcirculatoire du SAPL (1). Toutefois, il est important de rappeler qu’aucune étude clinique ne permet aujourd’hui d’attester de l’efficacité des AOD chez les patients SAPL avec manifestation veineuse exclusive et que les 3 syndromes catastrophiques des antiphospholipides rapportés dans la littérature après introduction d’un AOD concernaient des patients avec des antécédents veineux exclusivement.

Actuellement, un essai thérapeutique contrôlé, randomisé étudiant l’apixaban chez les SAPL est en cours depuis 2016. Cet essai a déjà subi 2 modifications de protocole en raison 1) d’un taux élevé d’évènements thrombotiques après l’inclusion des 25 premiers patients, la posologie d’apixaban ayant été majorée de 2.5mgx2/j à 5mgx2/jour,  2) d’un taux élevé d’AVC après l’inclusion de 5 patients supplémentaires, les patients avec antécédents de manifestations artérielles étant désormais exclus de l’étude et une IRM cérébrale est systématiquement réalisée à l’inclusion (exclusion du patient si présence de stigmates d’AVC ou d’hypersignaux de la substance blanche trop importants pour l’âge) (2).

Le seul essai clinique terminé actuellement est l’étude RAPS qui mesurait la génération de thrombine chez des patients SAPL avec antécédent de manifestation veineuse uniquement durant un traitement par rivaroxaban et par warfarine.  L’ETP était augmentée de 100% sous rivaroxaban par rapport à la warfarine. Aucun évènement clinique n’était rapporté. Toutefois la durée de suivi (6 mois) était insuffisante pour conclure (3).

Les données actuelles de la littérature ne permettent donc pas de proposer un traitement par AOD aux patients SAPL. Pour les patients présentant une triple positivité et ceux qui ont des antécédents de thrombose artérielle, les données de la science sont en défaveur de ces traitements. Concernant leur utilisation chez les patients SAPL avec antécédents veineux uniquement, des études complémentaires sont nécessaires pour attester de leur efficacité et il est prématuré de les proposer. Un observatoire national sera prochainement proposé pour recueillir les informations des patients ayant un SAPL et traités par AOD.

Références :

1.    Dufrost V, Risse J, Reshetnyak T, Satybaldyeva M, Du Y, Yan X-X, et al. Increased risk of thrombosis in antiphospholipid syndrome patients treated with direct oral anticoagulants. Results from an international patient-level data meta-analysis. Autoimmun Rev. 2018 Aug 11;

2.    Woller SC, Stevens SM, Kaplan DA, T Rondina M. Protocol Modification of Apixaban for the Secondary Prevention of Thrombosis Among Patients With Antiphospholipid Syndrome Study. Clin Appl Thromb Off J Int Acad Clin Appl Thromb. 2018 Jan;24(1):192.

3.    Cohen H, Hunt BJ, Efthymiou M, Arachchillage DRJ, Mackie IJ, Clawson S, et al. Rivaroxaban versus warfarin to treat patients with thrombotic antiphospholipid syndrome, with or without systemic lupus erythematosus (RAPS): a randomised, controlled, open-label, phase 2/3, non-inferiority trial. Lancet Haematol. 2016 Sep;3(9):e426-436.