TRAITEMENT ANTIPLAQUETTAIRE COMPARE AU TRAITEMENT ANTICOAGULANT DANS LES DISSECTIONS CERVICALES AIGUES : UNE ETUDE RANDOMISEE.

Titre original : 
Antiplatelet treatment compared with anticoagulation treatment for cervical artery dissection (CADISS): a randomised trial.
Titre en français : 
TRAITEMENT ANTIPLAQUETTAIRE COMPARE AU TRAITEMENT ANTICOAGULANT DANS LES DISSECTIONS CERVICALES AIGUES : UNE ETUDE RANDOMISEE.
Auteurs : 
CADISS trial investigators, Markus HS, Hayter E, Levi C, Feldman A, Venables G, Norris J.
Revue : 
Lancet Neurology. 2015 Apr;14(4):361-7.

Traductions & commentaires : 
Christophe SEINTURIER (avec la collaboration du Dr DETANTE).



INTRODUCTION

Les dissections des artères cervicales représentent une cause fréquente d’accident vasculaire cérébral chez les sujets jeunes et d’âge moyen (8 à 25 % avec une moyenne d’âge de 45 ans et un sex ratio de 1). Leur diagnostic est difficile du fait de la diversité des tableaux cliniques et de la difficulté fréquente du diagnostic en imagerie (écho-Doppler, angioscanner, angio-IRM). La thérapeutique repose sur les antiplaquettaires ou anticoagulants avec des disparités importantes selon les pays. Cette étude compare de manière ouverte le traitement anticoagulant au traitement antiplaquettaire.

 

METHODOLOGIE

Il s’agit d’une étude anglaise randomisée ouverte avec un recrutement anglais (39 centres) et australien (7 centres). Le critère d’inclusion était une dissection carotide ou vertébrale survenue dans les 7 jours. Le diagnostic d’imagerie devait reposer sur l’IRM ou l’ARM, l’angioscanner ou l’artériographie (ou l’écho-Doppler + une de ces techniques). Les critères d’exclusion étaient la localisation intracrânienne des dissections (plus à risque d’hémorragie cérébrale), le fait d’avoir une indication ou au contraire une contre-indication de traitement anticoagulant ou antiplaquettaire, la grossesse. Les patients ont été randomisés ensuite mais l’étude était en ouvert et le choix de la molécule était laissé à la discrétion des cliniciens (aspirine, clopidogrel, association des deux ou association aspirine-dipyridamole, héparine non fractionnée ou HBPM suivi d’AVK). Les patients étaient suivis trois mois avec recueil des événements cliniques et une imagerie de contrôle était demandée à trois mois. Le critère principal d’évaluation était représenté par la survenue d’une récidive d’AVC ipsilatéral ou la mort à trois mois. Les critères secondaires recueillis étaient la survenue d’un AIT ou d’un AVC quel que soit le territoire, une hémorragie, une sténose résiduelle.

RESULTATS

250 patients ont été recrutés sur 7 ans dont 118 dissections carotides et 132 dissections vertébrales, dont 70% d’hommes d’âge moyen 49 ans. 90 % des patients présentaient une ischémie cérébrale (87 % d’AVC, 13% d’AIT).

Les caractéristiques de la population sont données dans le tableau ci-contre :

 

Antiplaquettaire (126)

Anticoagulants (124)

SIGNES DE PRESENTATION / SYMPTOMES

 

 

Amaurose fugace

3%

4%

Infarctus rétinien

0

1%

AIT

21%

16%

AVC ischémique

74%

81%

Céphalées

67%

67%

Douleur cervicale

45%

51%

Syndrome de Horner

21%

27%

Modified Rankin Scale (mRS)

2.1

2.1

 

FACTEURS DE RISQUE D’AVC

 

 

HTA traitée

23%

21%

Diabète

4%

4%

Hyperlipidémie traitée

13%

15%

Tabagisme ancien ou passé

50%

53%

Terrain migraineux

16%

20%

Traumatisme dans les 28 jours passés

25%

26%

 

 

 

TECHNIQUES D’IMAGERIE

 

 

Scanner

87%

85%

IRM

82%

75%

ARM

75%

67%

Angioscanner

43%

47%

Angiographie

1%

2%

 

Les traitements dans le groupe antiplaquettaire étaient assez disparates avec 22% de traitement par aspirine seule, 33% de clopidogrel, 28 % leur association, 1% (1 patient) du dipyridamole et 16% l’association aspirine-dipyridamole.

RESULTATS

Une récidive d’AVC a été observée chez quatre patients dans la population totale de l’étude (3 dans le groupe antiplaquettaire versus un seul dans le groupe anticoagulant, différence non significative). Les résultats en intention de traiter sont donnés dans le tableau ci-joint :

 

Antiplaquettaires

Anticoagulants

OR et p

AVC ipsilateral ou mort 

3 (2%)

1 (1%)

0.335 (0.63)

Hémorragie majeure

0 (0%)

1 (1%)

 

AVC ou mort

3 (2%)

1(1%)

0.335 (0.63)

AVC, mort ou hémorragie majeure

3 (3%)

2 (2%)

0.673 (1)

AVC

3 (2%)

1 (1%)

0.335 (0.63)

AVC ou AIT

5 (4%)

5 (4%)

1.017(1)

 

Aucune différence significative n’a été retrouvée en intention de traiter ou en analyse per protocole entre les deux groupes.

Parmi les événements indésirables, une hémorragie majeure est survenue dans le groupe anticoagulant chez un patient avec dissection vertébrale avec extension intracrânienne qui s’est compliquée d’une hémorragie sous arachnoïdienne. Deux saignements mineurs sont survenus également dans le groupe anticoagulant (une hématurie et une hémoptysie).

 

ANALYSE DES RESULTATS PAR LES AUTEURS

 Il s’agit de la première étude randomisée comparant les deux types de traitement pour les dissections extra-crâniennes et les résultats se caractérisent essentiellement par un faible taux d’événements cliniques dans les trois mois suivant le diagnostic. Une des informations importantes également amenée par cette étude est l’incertitude diagnostique concernant jusqu’à 20% des patients inclus. En effet, lié à la faible qualité des examens initiaux ou à un doute sur l’interprétation définitive des résultats d’imagerie, le diagnostic de certitude n’a pas pu être posé par le centre de relecture centralisé à postériori. Cela met en exergue la difficulté de poser ce diagnostic de manière formelle notamment pour les artères vertébrales ou la présence de plexus veineux péri-artériels et la fréquence élevée d’artères atrésiques sont des difficultés supplémentaires. Parmi les patients de l’étude, 100 diagnostics sur 132 furent confirmés de manière formelle pour les artères vertébrales versus 98 sur 118 pour les artères carotides. Dans le consensus paru dans Stroke en 2014 (1), il est clairement notifié que le diagnostic peut être également renforcé à postériori après plusieurs mois en fonction de l’évolution des lésions sur les examens d’imagerie de suivi.

 

REMARQUES ET COMMENTAIRES

La dissection des artères cervicales est une cause fréquente des AVC du sujet jeune (8 à 25% chez le sujet de moins de 45 ans avec un sex ratio de 1). Elle touche deux fois plus la carotide interne que l’artère vertébrale et est favorisée par une anomalie de la paroi vasculaire (tissu conjonctif, fibres musculaires) ainsi que par les traumatismes cervico-crâniens. Le tableau clinique est très hétérogène mais est représenté le plus fréquemment par une douleur cervicale et/ou craniofaciale suivie dans les heures ou les jours qui suivent par un épisode ischémique cérébral (ou rétinien) (1).

Le sujet de cette étude est très intéressant et renvoie à une question que beaucoup de médecins se posent. En France, le traitement des dissections repose essentiellement sur le traitement anticoagulant dans les formes extra-crâniennes afin d’éviter la composante embolique des AVC liés à une dissection.  Plusieurs critiques peuvent être faites à cette étude, la principale étant le design en ouvert et le biais d’inclusion lié au fait que 20% des diagnostics n’ont pas pu être confirmés de manière formelle. Les auteurs n’ont pas proposé d’ailleurs d’interprétation des résultats chez les seuls patients dont le diagnostic avait été confirmé. La grande hétérogénéité des traitements dans le groupe antiplaquettaire et l’absence d’information sur l’intensité de la décoagulation (TTR*) sont également des biais à la comparaison de ces deux groupes.

Les médecins vasculaires regretteront qu’il n’y ait aucune information sur les données de l’écho-Doppler dont la sémiologie a été pourtant bien décrite (signes directs à type d’hématome de paroi hypoéchogène, élargissement de l’artère, flap intimal, double lumière, sténose longue et signes indirects d’obstruction d’aval) (2). Même si un écho-Doppler normal n’élimine en aucun cas le diagnostic, la constatation de signes directs peut être un argument fort pour un diagnostic qui reste encore difficile.

Cette étude est donc critiquable mais il s’agit de la première étude randomisée et ses conclusions rejoignent celles d’une métanalyse Cochrane effectuée sur 1200 patients et ne retrouvant pas de différence significative entre les deux régimes de traitement (3).

En France, le traitement anticoagulant reste la règle pour les dissections extra-crâniennes de même que le traitement antiplaquettaire pour les dissections intra-crâniennes (en rappelant que la thrombolyse systémique peut être indiquée) et cette étude n’apporte pas d’arguments pour modifier ces pratiques.

Références

1.            Biller J, Sacco RL, Albuquerque FC et al : American Heart Association Stroke Council. Cervical arterial dissections and association with cervical manipulative therapy: a statement for healthcare professionals from the american heart association/american stroke association. Stroke. 2014 ;45(10):3155-74. (Téléchargement libre sur PubMed)
 
2.            Gobin-Metteil MP, Oppenheim C, Domigo V et al. Critères diagnostiques en écho-Doppler des dissections artérielles cervicales à la phase aigüe. J Radiol. 2006; 87 :367-73.
 
3.            Lyrer P, Engelter S. Antithrombotic drugs for carotid artery dissection. Cochrane Database Syst Rev. 2010 Oct 6;(10).