Traitement hormonal de la ménopause et risque thromboembolique veineux : une nouvelle étude cas-témoins en faveur de l’innocuité de la voie transdermique.

Titre original : 
Use of hormone replacement therapy and risk of venous thromboembolism: nested case-control studies using the QResearch and CPRD databases.
Titre en français : 
Traitement hormonal de la ménopause et risque thromboembolique veineux : une nouvelle étude cas-témoins en faveur de l’innocuité de la voie transdermique.
Auteurs : 
Vinogradova Y, Coupland C, Hippisley-Cox J.
Revue : 
BMJ. 2019 Jan 9;364.

Traductions & commentaires : 
Christophe BONNIN



INTRODUCTION

Le traitement hormonal de la ménopause (THM) est le traitement le plus efficace sur les troubles du climatère, en particulier sur les symptômes vasomoteurs, et le risque thrombo-embolique veineux (TEV) est son effet indésirable le plus fréquent bien que rare notamment avant 60 ans. Après 2002, les données issues de la Womens’ Health Initiative (WHI) ont remis en cause les bénéfices prétendus du THM en montrant une augmentation du risque relatif d’infarctus du myocarde, particulièrement au cours de la première année de traitement. En réponse à la chute importante de prescription des THM qui s’en ait suivie, des recommandations furent publiées et ont actualisé les indications du THM (HAS 2003, 2014 – NICE 2015).
Actuellement aucun élément de niveau de preuve élevé ne permet de savoir si les risques associés au THM sont influencés ou non par le type d’estrogène, par sa voie d’administration, par le type de progestatif ou par le délai entre la ménopause et l’instauration du THM, même si certaines études et méta-analyses laissent penser que ces risques varient en fonction des différents types de traitements, notamment que le risque TEV est plus important par voie orale que par voie transdermique.
L’objectif de l’étude était donc de mettre en évidence l’association entre le risque TEV et les différents types de THM utilisés.


METHODE

Etudes cas-témoins nichées au sein de 2 bases de données (QResearch et CPRD Clinical Practice Research Datalink), ayant inclus entre 1998 et 2017 les femmes de 40 à 79 ans avec un premier diagnostic de MTEV et une prise de THM dans l’année précédant la date du diagnostic (date index). QResearch enregistre les hospitalisations et les décès, CPRD les consultations auprès de généralistes. Chaque cas était apparié avec 1 à 5 témoins de même âge et ayant le même THM au moment du diagnostic de MTEV. Les patientes avec antécédent de MTEV étaient exclues, mais pas celles avec un antécédent de traitement anticoagulant (hypothèse posée que ce traitement n’était pas lié à une MTEV). Le critère de jugement était la survenue d’une TVP ou d’une EP.
Concernant les traitements, les molécules, voie d’administration, dosages, durée et mode d’exposition étaient renseignés.
 Molécules : œstrogènes seuls (œstrogènes conjugués équins ECE ou estradiol) ou associés à un progestatif (acétate de médroxyprogestérone AMP, dydrogestérone, acétate de noréthistérone, norgestrel/lévonorgestrel, drospirénone). Les deux derniers progestatifs ont été regroupés en seul traitement en raison d’un faible nombre de patientes exposées. La tibolone et le raloxifène étaient aussi étudiés.
 Voie d’administration : orale, transdermique.
 Mode d’administration : continu, séquentiel.
 Dosages : faibles (≤ 0.625 mg ECE, ≤ 1 mg œstradiol oral, ≤ 50µg œstradiol transdermique), élevés.
 Exposition (délai de prise du THM par rapport à la date index) : récente (dans les 90 jours avant la date index), ancienne (entre le 90ème et le 365ème jour), absente (pas de prise dans l’année précédant la date index).
 Exposition : durée ≤ ou > 84 jours.

L’analyse statistique était réalisée par régression logistique conditionnelle, avec estimation d’OR ajustés tenant compte de facteurs confondants (tabac, BMI, alcool, antécédent familial de MTEV, ménopause prématurée, antécédent d’annexectomie ou hystérectomie, comorbidités, affections aigües associées à une augmentation du risque de MTEV). Les analyses des deux bases de données ont été conduites séparément, puis combinées dans une méta-analyse avec utilisation d’une modélisation à effets fixes, recherche d’hétérogénéité. Les odds ratios (OR) présentés dans les tableaux sont les OR combinés.
Un nombre nécessaire pour nuire (NNN) est calculé pour estimer le risque de MTEV des patientes exposées au THM.
Trois analyses de sensibilité étaient réalisées : une analyse des cas et témoins sans antécédent de prescription de traitement anticoagulant, une autre utilisant uniquement les données hospitalières et de mortalité pour le CPRD, une troisième concernant les patientes avec données complètes concernant le BMI, le statut tabagique et la consommation d’alcool.
D’autres analyses en sous-groupes étaient conduites, dont une analyse des patientes ne présentant ni comorbidité ni facteur de risque récent de MTEV (« idiopathiques »).

RESULTATS

Ont été identifiées 80991 patientes ayant présenté une MTEV (28259 dans le CPRD, 52137 dans QResearch), pour 391494 témoins.
Plus de la moitié (54%) des femmes avec MTEV étaient âgées de 65 ans ou plus. Elles avaient plus de comorbidités que les témoins (56% vs 36%) : cancer (21% vs 7%), maladies cardiovasculaires (13% vs 9%), maladie rénale chronique (8% vs 5%).

Cinq mille sept cent quatre-vingt-quinze (5795 soit 7.2%) femmes avec MTEV et 21670 (5.5%) témoins avaient été exposés au THM dans les 90 jours précédents la date index.
L’exposition au THM dans les 90 jours précédant la date index conférait une augmentation globale de 43% du risque de MTEV (OR 1.43, IC 1.38-1.48). L’administration par voie orale conférait un risque supérieur (OR = 1.58, IC 1.52-1.64), tandis que l’administration par voie transdermique n’était pas associée à une augmentation du risque (OR 0.93, IC 0.87-1.01) (soit une augmentation de 70% du risque par voie orale par rapport à la voie transdermique).

Pour le THM oral, les œstrogènes seuls et les associations oestroprogestatives augmentaient le risque (respectivement OR 1.40, IC 1.32-1.48 et OR 1.73, IC 1.65-1.81). Pour les associations oestroprogestatives, le risque était moins élevé avec l’œstradiol (OR 1.59, IC 1.49-1.69) qu’avec les ECE (OR 1.91, IC 1.79-2.05) (réduction de risque de 17%). Le risque le plus élevé était conféré par l’association ECE-AMP (OR 2.10, IC 1.92-2.31) et le risque le moins élevé par l’association estradiol-dydrogestérone (OR 1.18, 0.98-1.42) (réduction de risque de 44%).

La voie transdermique (20% des THM) n’entrainait pas de surrisque de thrombose, que ce soit avec les estrogènes seuls (80% des traitements) ou en association, à faible ou forte dose, en administration cyclique ou continue.
La tibolone n’était pas associée à un surrisque de MTEV (OR 1.02, IC 0.90-1.15), contrairement au raloxifène (OR 1.49, IC 1.24-1.79).

Enfin, l’exposition à un THM plus de 90 jours avant la date index n’était pas associée au risque.
Le taux de MTEV était de 16/10000 femmes dans le CPRD (9 entre 40-54 ans, 22.2 entre 55-64 et 35.1 entre 65-79 ans).
Pour l’ensemble des THM, le NNN était de 1076 (IC 974-1196). L’excès de MTEV était de 9/10000, et 18/10000 pour le traitement le plus thrombogène (ECE+AMP).

Les analyses de sensibilité montraient des résultats superposables à ceux de l’analyse principale.

DISCUSSION

Les résultats restaient superposables concernant les différents types de THM :
- chez les patientes sans comorbidité ni facteur de risque récent de MTEV, suggérant une association indépendante entre THM et risque TEV ;
- quel que soit le BMI (<25 kg/m², 25-30 kg/m²) même si ce sont les patientes en surpoids qui ont le risque le plus élevé de MTEV (OR 1.79 vs 1.50 si BMI < 25 et 1.65 si BMI > 30)
- quelle que soit la tranche d’âge (40-54 ans, 55-64 ans, 65-79 ans), avec un risque un peu plus élevé dans la tranche 55-64 ans.
Parmi les limitations de l’étude pouvant être source de biais, certaines données manquaient :
- les traitements en cours (seules les prescriptions étaient recueillies) ;
- l’indication du THM ;
- l’âge de la ménopause ;
- le niveau d’éducation ;
- pour un petit nombre de patiente : la consommation d’alcool, le BMI, le statut tabagique.

Comparaison avec les études préexistantes
Dans la méta-analyse de Manson et al (1) 70% des données étaient celles de la WHI dans laquelle le THM était essentiellement représenté par l’association ECE-AMP. Dans la méta-analyse Cochrane (2), le risque de MTEV lié aux ECE était multiplié par 2.22 (IC 1.12-4.39) et celui lié à l’association ECE-AMP par 2.98 (IC 1.88-4.71).
Dans une autre méta-analyse (3), le risque était augmenté pour les œstrogènes oraux seuls ou en association (OR 1.43 et 1.95 respectivement), similaire à cette étude.

La plupart des études observationnelles ne distinguent pas les différents types de THM.
Toutefois, la méta-analyse de Mohammed et al. (4) rapporte un risque plus élevé du THM oral par rapport au THM transdermique (RR 1.63, IC 1.40-1.90), analogue à celui de cette étude (RR 1.70, IC 1.56-1.85).
Quelques études ont montré un risque augmenté avec les doses élevés d’œstrogènes (5).
Les études françaises ESTHER (6) et E3N (7) montraient par ailleurs que la progestérone micronisée et les dérivés prégnanes, dont l’AMP et la dydrogestérone, n’étaient pas significativement associés à un risque augmenté de MTEV. Mais ces études étaient peu puissantes avec des intervalles de confiance larges.
Sweetland et al dans la « Million Women Study » (5) rapportent une augmentation du risque avec les œstrogènes seuls par voie orale (OR 1.46 pour les ECE et 1.45 pour l’œstradiol) et avec les associations oestro-progestatives orales (OR 2.07) (OR = 2.67 avec l’AMP). En revanche, le risque n’était pas augmenté avec la voie transdermique (OR 0.82, IC 0.64-1.06).
Concernant la tibolone, une revue Cochrane n’avait pas mis en évidence d’augmentation du risque.

Les auteurs concluent que l’étude précise les risques de différentes associations de molécules, montrant par exemple que le risque de MTEV est plus élevé avec les ECE qu’avec l’œstradiol, quel que soit le poids ou l’âge de la patiente. Elle confirme également l’absence de risque avec le THM transdermique et précise qu’en Grande Bretagne, la grande majorité des femmes prend un THM en administration continue et par voie orale, alors que le THM transdermique est envisagé seulement chez les femmes avec des comorbidités ou une obésité, en conformité avec les recommandations NICE 2015 (NG23).
Si la problématique du cancer du sein n’est pas analysée dans l’étude, elle est prévue ultérieurement.


COMMENTAIRES

Le traitement hormonal de la ménopause est indiqué en premier lieu dans les troubles fonctionnels de la ménopause. Dans la prévention primaire des fractures ostéoporotiques de la ménopause, il n’est indiqué qu’en cas d’association aux troubles climatériques. En l’absence de troubles climatériques, le THM peut être prescrit en cas d’intolérance ou inefficacité des autres traitements à visée osseuse. Par ailleurs, le THM n’a pas d’indication en prévention primaire cardiovasculaire (8).
Concernant le risque thrombo-embolique veineux, rare mais potentiellement grave (l’EP représente 60% des évènements potentiellement fatals lié au THM), cette étude cas-témoins apporte de nouveaux arguments en faveur de l’innocuité du THM transdermique, déjà mise en évidence auparavant, notamment dans les études françaises ESTHER et E3N.
La diminution du risque est sous-tendue par des effets biologiques différents des œstrogènes par voie transdermique (↓fibrinogène, ↓PAI-1, ↓FVII-rTF ; absence d’effet sur l’AT, la PS, PC, absence de RPCa acquise) comparativement à la voie orale (↑ F1+2 de la prothrombine, résistance acquise à la protéine C activée, ↓AT et TPFI). Par ailleurs, la progestérone micronisée, la plus utilisée en France et non représentée dans l’étude de Vinogradova, ne modifie pas les facteurs de coagulation et n’entraine notamment pas de RPCa acquise. Dans une méta-analyse récente, PY Scarabin (9) montrait que le risque TEV n’était pas modifié chez les femmes utilisant de la progestérone micronisée, contrairement aux dérivés norprégnanes.
Si cette étude cas-témoins ne constitue pas une preuve de niveau 1, elle pourrait néanmoins contribuer à infléchir les recommandations à venir.

 

Références

1. Manson JE, Chlebowski RT, Stefanick ML, et al. Menopausal hormone therapy and health outcomes during the intervention and extended poststopping phases of the Women’s Health Initiative randomized trials. JAMA 2013;310:1353-68.

2. Marjoribanks J, Farquhar C, Roberts H, Lethaby A, Lee J. Long-term hormone therapy for perimenopausal and postmenopausal women. Cochrane Database Syst Rev 2017;1:CD004143.

3. Gartlehner G, Patel SV, Feltner C, et al. Hormone therapy for the primary prevention of chronic conditions in postmenopausal women: Evidence report and systematic review for the us preventive services task force. JAMA 2017;318:2234-49.

4. Mohammed K, Abu Dabrh AM, Benkhadra K, et al. Oral vs transdermal estrogen therapy and vascular events: a systematic review and metaanalysis. J Clin Endocrinol Metab 2015;100:4012-20. doi:10.1210/ jc.2015-2237

5. Sweetland S, Beral V, Balkwill A, et al, Million Women Study Collaborators. Venous thromboembolism risk in relation to use of different types of postmenopausal hormone therapy in a large prospective study. JThromb Haemost 2012;10:2277-86.

6. Canonico M, Oger E, Plu-Bureau G, et al, Estrogen and Thromboembolism Risk (ESTHER) Study Group. Hormone therapy and venous thromboembolism among postmenopausal women: impact of the route of estrogen administration and progestogens: the ESTHER study. Circulation 2007;115:840-5.

7. Canonico M, Fournier A, Carcaillon L, et al. Postmenopausal hormone therapy and risk of idiopathic venous thromboembolism: results from the E3N cohort study. Arterioscler Thromb Vasc Biol 2010;30:340-5.

8. US Preventive Services Task Force, Grossman DC, Curry SJ, Owens DK, Barry MJ, Davidson KW, Doubeni CA, Epling JW Jr, Kemper AR, Krist AH, Kurth AE, Landefeld CS, Mangione CM, Phipps MG, Silverstein M, Simon MA, Tseng CW. Hormone Therapy for the Primary Prevention of Chronic Conditions in Postmenopausal Women: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA. 2017 Dec 12;318(22):2224-2233.

9. Scarabin PY. Progestogens and venous thromboembolism in menopausal women: an updated oral versus transdermal estrogen meta-analysis. Climacteric 2018;21:341-345.