Le traitement anticoagulant des thromboses veineuses profondes (TVP) symptomatiques limitées à l’étage distal chez un patient à risque thrombo-embolique (TE) faible (ni cancer, ni antécédent TE) est discuté. De précédentes études n’ont pas démontré une aggravation du risque TE à 3 mois lorsque ces TVP sont ignorées par une exploration échographique limitée à l’étage proximal. L’étude CACTUS a eu pour objectif de rechercher la supériorité de leur anticoagulation face à un placebo.
MATERIEL ET METHODES
C’est une étude contrôlée, en double aveugle, effectuée dans 23 centres, français, suisses et canadiens, avec randomisation centrale, stratifiée par centre, en 2 groupes parallèles comparant nadroparine (171 UI/kg/j en 1 injection) vs placebo, administrés durant 6 semaines (42 jours) avec suivi clinique durant 3 mois. Des chaussettes de compression classe 3 (30 mmHg) étaient prescrites pour tous durant les 3 mois de l’étude. Le suivi associait : numération plaquettaire 1 fois par mois, suivi clinique et échographie de compression complète bilatérale à J 3 et à J 42, appel téléphonique à + 3 mois. Ont été inclus les patients externes ambulatoires > 18 ans, avec un 1er épisode symptomatique de TVP distale (musculaire ou collecteur) confirmée. Ont été exclus les patients présentant : poids < 40 kg ou > 115 kg, antécédent de TE veineux documenté, cancer actif ou < 6 mois, thrombopénie < 100 000/mm3, allergie à l’héparine, anticoagulation au long cours, indication de thrombo-prophylaxie, traitement AINS (sauf aspirine < 160 mg/j), saignement actif ou risque hémorragique élevé. L’efficacité a été jugée à J 42 sur un critère principal composite associant : extension proximale échographique ou TVP controlatérale ou embolie pulmonaire symptomatique confirmée. La sécurité a été évaluée à J 42 sur un critère principal associant hémorragies majeures et/ou cliniquement pertinentes (définitions ISTH). Tous les évènementsdes critères de jugement ont été évalués par un comité d’adjudication indépendant, en aveugle des groupes de traitement. Efficacité et sécurité ont également été évalués à +3 mois sur chacun des éléments des critères composites (critères de jugement secondaires). Selon l’hypothèse initiale d’un taux de 10% d’événementspour le critère principal dans le groupe placebo et d’une réduction de 70% de ce risque dans le groupe nadroparine, 572 patients auraient dû être inclus. L’étude a cependant été arrêtée par le comité de surveillance après inclusion de seulement 259 patients du fait d’un recrutement trop lent, de l’expiration des lots de nadroparine et de l’absence de financement pour conditionner de nouveaux lots. Les analyses d’efficacité et de sécurité ont été faites en intention de traiter (ITT) “modifiée”, c’est à dire portant sur tous les patients ayant reçu au moins 1 dose de traitement sauf retraits de consentement et perdus de vus ; une analyse perprotocole (PP) des patients ayant complété les traitements alloués a également été effectuée.
RESULTATS
Entre 2008 et 2014, 126 patients ont été inclus dans le groupe nadroparine, et 133 dans le groupe placebo, dont 122 et 130 analysés en ITT, et 111 et 124 analysés en PP. La comparabilité des groupes à l’inclusion fait apparaître quelques différences non significatives (NS) : davantage de localisations musculaires dans le groupe placebo : 60% (80/133) vs 50% (63/126) dans le groupe nadroparine (NS). La répartition des facteurs de risque, la compliance à la compression, la part de sujets sous aspirine, étaient tout à fait comparables. Des traitements AINS ou inhibiteurs COX-2 étaient un peu plus souvent retrouvés à J 42 dans le groupe nadroparine 4% (4/122) vs 1% (1/123) dans le groupe placebo (NS). Le critère principal d’efficacité évalué en ITT à J 42 a été atteint dans 3% (4/122) des cas dans le groupe nadroparine, vs 5,4% (7/130) dans le groupe placebo (p = 0,54). Une extension échographique proximale à J 42 a été observée dans respectivement 1,6% (2/122) vs5,4% (7/130) des cas. Une extension échographique en distal à J 42 a été observée dans 5 cas, tous dans le groupe placebo, dont 2 ont alors été anticoagulés (hors protocole). Aucun de ces 5 patients n’a eu d’événement TE jusqu’à J 90. Le critère principal d’efficacité évalué à J 90 a été atteint respectivement dans 3,3% (4/122) vs 6,2% (8/130) (p = 0,28). En per-protocole, le critère principal d’efficacité à J 42 a été atteint dans 4% (4/111) des cas dans le groupe nadroprine, vs 6% (7/124) dans le groupe placebo (p= 0,46). Le risque d’événement TE selon la définition du critère principal d’efficacité, après un 2ème ED veineux négatif en proximal, a été de 2,5% (3/122) dans le groupe nadroprine vs 3,1% (4/130) dans le groupe placebo (NS). Il n’a pas été noté de différence quant au risque TE ultérieur entre les thromboses localisées aux affluents musculaires et celles atteignant les collecteurs tibiaux postérieurs ou péroniers. Le critère principal de sécurité a été atteint dans 4% (5/122) des cas dans le groupe nadroparine vs 0% (0/130) dans le groupe placebo. Si on additionne les évènements TE et hémorragiques, la balance bénéfice-risque est la suivante : groupe nadroparine 7,4% (9/122) vs groupe placebo 5,4% (7/130).
DISCUSSION
Ces résultats confortent les études précédentes quant au faible risque d’extension proximale des TVP distales sous compression élastique de classe 3, chez des patients à risque TE faible, qu’elles soient anticoagulées ou non. Ces résultats sont conformes à ceux montrant la sécurité d’échographies de compression limitées en proximal et négatives à 2 reprises, chez des patients à risque TE faible. Ces résultats confortent les recommandations de l’ACCP 2012 qui suggèrent que les TVP distales chez les patients à faible risque TE, peuvent ne pas être anticoagulées au profit d’un suivi par échographie de compression, limitée en proximal, effectuée à 2 reprises à 1 semaine d’intervalle, afin de vérifier l’absence d’extension proximale. Cette stratégie réduit le nombre de TVP diagnostiquées et traitées, et par-delà, réduit le nombre d’accidents hémorragiques iatrogènes et les coûts de santé. En cas de traitement anticoagulant, une durée de 6 semaines peut probablement suffire.
Limites
Le manque de puissance de l’étude du fait des difficultés de recrutement aurait été difficile à pallier, car le nombre d’évènements TE observés dans le groupe placebo a été 2 fois plus faible qu’attendu (5,4% vs 10%). Il faut noter cependant que l’anticoagulation de 2 des 5 cas d’extension en distal à J 42 dans le groupe placebo, a pu prévenir la survenue d’un événement TE entre J 42 et J 90 et faire sous-estimer le risque TE à 3 mois dans le groupe placebo. Le suivi par échographie de compression de TVP distales chez des patients à faible risque d’extension TE, apparaît comme une alternative au traitement anticoagulant à posologie curative. Une posologie prophylactique pourrait être une autre alternative, malheureusement non testée. Elle reste à établir dans un nouvel essai clinique.
COMMENTAIRES
Les TVP distales sur facteur de risque transitoire fort (contexte chirurgical, en particulier orthopédique, réanimation post-traumatique, hospitalisation médicale prolongée non carcinologique) doivent pouvoir bénéficier de la stratégie proposée par ces données. En revanche, les TVP distales inexpliquées sont plus difficiles à classer ; leur part dans le recrutement de l’étude Cactus n’est pas précisée ; leur risque d’extension TE est plus élevé. Par sécurité, lorsqu’elles sont diagnostiquées, il est sans doute prudent de les anticoaguler à posologie curative.
L’efficacité des traitements prophylactiques prolongés de la chirurgie orthopédique majeure pour réduire le taux d’évènements TE cliniques retardés, valide indirectement l’efficacité de posologies prophylactiques pour traiter les TVP distales. Ces TVP distales sont en effet présentes en post-opératoire dans 20% à 50 % des cas et classées comme asymptomatiques car leur symptomatologie est soit gommée par la conjonction des antalgiques et de l’alitement post-opératoire, soit confondue ou fusionnée avec la douleur et l’oedème post opératoire.